29 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 11


Semaine sympathique encore.
Il nous restait encore un petit clip d’une trentaine de secondes à insérer dans le film. Une séquence composée d’images d’archives. On a reçu les archives au compte goutte et aujourd’hui encore ce n’est toujours pas complet. Voilà, le montage image n’était pas encore totalement terminé.

Lundi après midi j'avais un rendez-vous avec le boss d’Europa Corp, le dernier à ne pas avoir pas vu le film (à part Luc Besson qui attend la version finale). Bon rendez-vous, accueil agréable, bonne impression sur le film. Mais Patatra ! Il me suggère des changements. Pas beaucoup. Mais certains sont relativement lourds. Pour rendre le film encore meilleur me dit-il. Pour le rendre parfait. Pourquoi pas ? Je suis assez serein maintenant pour accueillir des suggestions.

Il faut que je les digère, que je vérifie si elles font écho en moi, si elles m’inspirent quelque chose. Je ne veux pas ne pas aimer un millimètre de mon film, même au nom de l’efficacité. Ce film est une telle alchimie ! Un thriller vendu par le teaser qui est extrêmement efficace ? Oui mais aussi et surtout une histoire d’amour que j’espère inédite. De la chair tremblante, un fluide d’or en fusion qui coule dans les rouages de la mécanique. Non, ce film n’est pas qu’un thriller. C’est bien plus. Ce n’est pas un film de genre. Ce film est émotionnel. Je le veux palpitant comme un cœur pendant l’amour. JD et CdF ne sont pas là pour jouer une partition mécanique. Ils sont là pour qu’on tremble avec eux, que l’on tremble d’émotion. C’est ce que je leur ai demandé. C’est ce qu’ils ont donné. C’est ce que je veux rendre.

Je réfléchis donc, un peu déprimé, aux suggestions qu’on m’a faites. J’ai peur que le château de cartes si fragile s’effondre.
En plus c’est trop tard. Le montage son a commencé depuis longtemps. La post synchro aussi. Et on n’a plus le temps d’évaluer avec recul les retouches qu’on concèderait. Grosse déprime. Je suis lessivé. Remettre de nouveau le film sur le métier. Nous laissons passer quelques jours pour digérer tout ça. Je ne suis pratiquement d’accord avec rien. J’ai même du mal à comprendre. Et j’ai peur. Peur de distordre le film. Et pourtant nous nous devons d’en tenir compte. Ne serait-ce que par acquis de conscience.

Nous laissons passer un peu de temps, travaillant la post synchro encore. Et aujourd’hui on s’y met de nouveau. Nous essayons quelques trucs cosmétiques. Puis nous osons encore des modifications plus importantes, sachant que tous ceux qui travaillent sur le film vont devoir  de nouveau s’adapter : monteurs sons, monteurs parole, bruiteur, post synchro. Ils vont devoir tous modifier leur travail en conséquence. Virer les sons des plans qui sautent, travailler ceux qui s’ajoutent.
Mais nous sortons relativement contents de cette séance de travail. Nous n’avons pas encore assez de recul pour savoir si ce qu’on a fait est bien. Mais l’impression est bonne.

C’est le problème. A partir de maintenant tout va très vite. Tout se fait en même temps. Je cours à droite à gauche, mettre le nez de la mise en scène partout où je peux. C'est à dire partout. Et l’image qui change encore ! Ça donne le tournis. L’urgence rend chaque modification périlleuse.

C’est la Post Production. Le film continue de se faire à moins de trois mois de la sortie. Ne jamais baisser les bras. C’est parfois terriblement angoissant, déprimant. On a peur de céder, de se déjuger, de se tromper. En fin de semaine prochaine je serai à Bruxelles pour le bruitage. On entre en mixage dans dix jours. Et quand on entre en mixage, le sort en est jeté. L’image est scellée. On ne touche plus à rien. Encore dix jours… avant de mettre un point final à l’image de Möbius.

24 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 10


Semaine fiévreuse.
Elle a commencé dans une relative sérénité par une journée de Post-synchro avec CdF. Elle s’est terminée dans une fièvre créative insensée liée aux délais qui nous séparent de la sortie très proche (27 février).
Je craignais depuis le début que ces délais serrés nuisent au recul nécessaire au travail de post-production. Monter un film exige des temps de pause, de repos de l’esprit. Autant le tournage participe de la performance, autant le montage demande de la réflexion, de la sérénité, de l’air. On a besoin d’air. On a besoin de regarder le film avec des yeux neufs, après certains épisodes de construction. On a besoin d’air pour évaluer les modifications. On a besoin d’air pour digérer le sentiment des autres. Il faut se poser.
Pas trop non plus car le montage est aussi affaire de décision. Et la décision est toujours affaire de sacrifice. Qui ne veut sacrifier aucune potentialité ne saura mettre un terme au montage. On peut s’arrêter un an et revoir son film. On le changera alors du tout au tout. Et cela indéfiniment.
Le film est finalement une photographie de ce qu’on peut faire à l’instant donné. C’est le symptôme du moment.
Mais enfin il s’agit aussi de décider sous quelle forme on va l’offrir et c’est quand même bien de pouvoir un peu penser son film.

Donc on commence à mixer la musique : quatre jours, là aussi, pour mettre un terme quasi final à ce que sera la musique du film. Là aussi prendre des décisions lourdes de conséquence. Je me retrouve donc à Montreuil dans un minuscule studio avec Jonathan Morali et son ingénieur du son. Et là, on mixe, on modifie des sons, des temps, à l’image. J’apporte le point de vue de la mise en scène. Jonathan apporte le point de vue du compositeur et du musicien. Le temps imparti nous oblige à réfléchir vite, à décider vite. La couleur du film, son intensité émotionnelle est en jeu.
Pendant ce temps on cherche encore des « synchros » (ces musiques qui ne sont pas originales et dont on a besoin dans le film – musiques qu’on entend dans les différentes boîtes ou bar dans le film, musique d’ambiance mais pas seulement, elles ont souvent une fonction de musique de film). Le budget nous contraint à jongler avec les trouvailles, les désirs, les réalités. Ce n’est pas évident non plus.

Et voilà que, je ne sais pas pourquoi ni vraiment comment, nous avons soudainement au montage l’idée, le souhait d’essayer une sorte de révolution : changer le début du film.
Trop tard ! Le montage son a commencé, si on modifie quelque chose tout le monde va devoir suivre et personne n’a le temps ni le luxe de ça.
Mais quoi ? On va le faire quand même. On veut essayer. Un peu de temps a passé depuis la fin du montage image. Le travail sur la musique nous en a éloigné. Le recul nous a permis d’adapter notre point de vue. Il faut essayer.
Une projection est prévue ce dernier vendredi. Nous avons deux jours pour donner ses chances à cette révolution. Après ça sera fini. Pendant que je suis à la musique, Pascale Fenouillet, au montage, cherche les solutions pour concrétiser au mieux la nouvelle idée. Elle m’envoie les différentes versions par Internet, je réagis au téléphone, on travaille en parallèle, de la salle de montage au studio de mixage. Une ambiance de fou, de créativité fébrile. Je passe mes heures à écouter un morceau de musique en train d’être élaboré pendant que je réagis à une proposition de montage, pendant que j’écoute une nouvelle proposition de chanson pour telle séquence, pendant qu’à nouveau nous essayons un nouvel son sur tel morceau, pendant que je reçois une nouvelle version de la séquence, pendant que j’écoute encore six propositions de musique pour la séquence de boîte… bref.
On arrive finalement à la projection du vendredi. Je vais enfin voir le film dans sa continuité avec toutes les musiques originales mixées, les dernières modifications de montage, et la petite révolution que nous avons opéré dans la fièvre.

Projection émouvante. La musique vient soulever le film à des hauteurs encore jamais vues jusque là dans le processus de fabrication. Le nouveau début modifie l’entrée dans le film, modifie donc le sens des premières minutes et c’est une  surprise enthousiasmante.
Le film n’est plus seulement là mais il commence à s’imposer, massif.
Et je commence à y croire.
Jusqu’à la prochaine crise, bien sûr.

19 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 9


Les teasers sont faits pour teaser.
Celui-là tease, à n'en pas douter.
Ce n'est évidemment pas moi qui l'ai réalisé ni conçu.
Je reste généralement en dehors du processus de commercialisation. D'abord parce qu'en l'occurrence je n'ai pas le temps et ensuite (et surtout) parce que je m'estime mal placé pour juger d'une bonne campagne de publicité. C'est d'une part un travail de professionnel et d'autre part je manque de recul pour apprécier la façon dont on doit vendre mon film.
J'ai évidemment du mal à regarder les bandes annonces de mes films en essayant de me mettre à la place du spectateur que je peux être.
Bref... 

Cette semaine nous travaillons la musique.
Nous étions en enregistrement la semaine dernière et maintenant nous sommes en mixage (de la musique).
Je participe à toutes les étapes de la post-production où la mise en scène peut encore intervenir, sur l’émotion ou sur la signification.
Je participe donc à toutes les étapes car nulle part il est uniquement question de pure technique. Des choix esthétiques et signifiants peuvent être faits. Des erreurs peuvent être commises également. C’est pourquoi je suis là.
La musique a une importance considérable à cet égard.
La musique colore les scènes, elle induit le sens de leur lecture. Etrangement elle agit autant sur l’émotion que sur le sens.
En terme d’émotion, elle appuie celle qui est créée par la scène. Elle a une fonction de modulation de l’intensité. Avec la musique on peut soit amplifier l’émotion soit l’émousser, selon le souhait. Il faut évidemment faire attention à ne pas trop l’amplifier car on peut tomber ainsi dans l’emphase voire le ridicule.
Mais la musique a aussi une fonction sémantique. Elle induit la lecture d’une scène, elle appuie ou même crée le point de vue.
Imaginez la scène dans « Orange Mécanique » où la bande se bat au bord du canal. Si la musique avait été à ce moment celle d’une scène d’action, le sens aurait été très différent. La musique de cette scène apporte un décalage extraordinaire et impose du coup une lecture.
L'affirmation d'un film passe aussi et quelques fois surtout par la musique.

Il faut donc parler avec le compositeur du point de vue qu’on désire exprimer sur les scènes. Ce qui n’est pas toujours évident. Il n’est pas facile de savoir exactement ce qu'on veut dire, avec quelle orientation et quelles nuances apporter.
C’est pourquoi le dialogue avec le compositeur est un des plus profonds que l’on puisse avoir, il porte sur l’âme même du film, son sens, sa puissance dramatique. On est obligé de rendre compte avec exactitude de ce qu’on veut exprimer, quelques fois en termes très flous, très abstraits voire poétiques. On se pose alors des questions inédites et on doit parfois adopter un langage très imagé, ou très intellectuel.

La musique appuie l'affirmation, impose une perspective et souvent, à la faveur du montage d’une musique, on découvre littéralement le point de vue exigé soit par la narration soit par l’émotion. La musique permet de découvrir les potentialités émotionnelles et sémantiques de son film. C’est une sorte de révélateur.
Il y a donc de lourdes décisions à prendre en tenant compte du risque de « tuer » une scène à cause de la musique, ou d’influer sur la continuité en imposant une lecture qui peut modifier le reste de l’histoire.

Là on parle de la composition, de l'enregistrement, mais, et c’est le sujet du moment, ça se joue aussi au mixage de la musique. La couleur de tel instrument ou son niveau peut en lui-même être signifiant.

On peut tout laisser au hasard. On peut aussi décider de maîtriser au maximum les éléments qui vont intervenir sur le sens. C’est ma façon de faire. La mise en scène passe aussi par la couleur du son d’une seule note de piano.



13 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 8

Je crois que c'est fini.
Si on ne compte pas l'écriture, on peut dire que ça fait un an que l'on travaille sur le film. Il y a un an, j'étais déjà en repérages à Monaco, puis en casting à Moscou.
Si on compte l'écriture on peut rajouter cinq ans.
C'est dire si le dernier mois avait toutes les raisons d'être stressant.
Cette dernière phase de montage image est celle ou tout se fige, quasi définitivement. C'est le moment où l'on décide quel est le film qui sera projeté en salle. C'est le moment où l'on fait couler la cire, il n'y aura plus de retour en arrière.
C'est la frontière entre les espoirs et les regrets.
Ce qui justifie le stress insolent qui a accompagné ces dernières semaines. C'est connu, c'est balisé mais c'était cette fois-ci particulièrement fort.

Avec l'âge et l'expérience - c'est mon huitième long-métrage, le premier étant "Un monde sans pitié" - je supporte de moins en moins qu'on m'oppose une expérience plus faible pour discuter mon travail. Pour mon premier film, le producteur Alain Rocca avait quasiment mon âge, c'était également son premier film. Nous étions solidaires dans l'inexpérience et je devrais dire l'inconscience.
Aujourd'hui je sais ce que je fais, je sais comment je dois le faire, et je sais aussi que je ne peux le faire ni seul ni pour moi. Ce qui veut dire que je connais la valeur du regard de l'autre, de son sentiment, de ses impressions. Je connais la valeur de l'étape d'objectivation de ce que je produis.
J'en connais la valeur mais j'en connais aussi la limite, voire l'illusion. Chacun a ses angoisses sur un film, angoisses liées à ce que peut représenter le film dans sa propre vie : un succès ? Une fierté ? Une garantie ? Une médaille ?
Ceux qui signent le film ont peur, chacun à sa manière.
Le destin du film va marquer un certain nombre de gens qui ont travaillé dessus. Les producteurs, l'auteur bien sûr, quelques "chefs de poste" situés à la limite entre l'artistique et la technique  comme le chef opérateur qui signe la lumière, le chef décorateur ou la chef monteuse dont on évaluera le travail. Le compositeur sera jugé également. Les acteurs bien sûr et en particulier les acteurs principaux.
Chacun a fait un pari. Chacun a misé quelque chose. Et comme le veut la théorie des jeux, la mise est perdue.
Nous sommes, chacun à son niveau, à un moment où la mise est perdue et les jeux sont faits.
Le verdict commercial, c'est à dire financier, sera rapide le jour de la sortie. Le verdict artistique le sera moins. L'expérience du film "Les Patriotes" est édifiante à ce sujet.

Nous n'avons pas misé la même chose, et nous n'allons gagner ni perdre la même chose.
Mais ce qui est certain c'est que la bataille qui vient d'avoir lieu est le symptôme de cette perte. C'est bien parce que la mise est perdue que la peur s'est mêlée au processus de création, au dialogue nécessaire. La peur est mauvaise conseillère dit-on. Elle accompagne pourtant chaque phase de la fabrication d'un film. Elle n'est pas répartie de manière égale et c'est là que l'expérience joue.
Quand on n'a aucune expérience, on n'a pas peur. Mais dès le second film, la peur apparaît et collabore avec plus ou moins d'allant.
La peur explique pourquoi certains s'enferment dans ce qui fait leur succès, pourquoi ils s'identifient à l'image que leur renvoie le public. C'est la peur qui vous soumet à l'autre. La peur de perdre ce qui a été acquis. Cette même peur de perdre qui affaiblit les politiques et qui peut les rendre dangereux.

J'ai certainement peur de perdre moi aussi. Mais c'est bien plus effrayant de perdre le film qu'on fait. Je voudrais réellement qu'on sorte retourné de ce film. J'ai oeuvré pour ça. Qu'on en sorte retourné et heureux de l'avoir été. Cela signifierait que les quelques affirmations du film ont porté. Mais je souhaiterais aussi avoir réussi ce pari sans me renier ni me contredire. Bref, j'aimerais aimer ce film aussi. C'est pourquoi je me suis battu. Et c'est pourquoi j'ai souffert ces dernières semaines. J'ai souffert parce qu'à certains moments j'ai senti que l'enjeu était d'une certaine manière de renoncer à aimer moi-même le film.

Le montage image est à 99% terminé. Je n'ai renoncé à rien d'essentiel, et surtout à aucun bout de terrain que je jugeais stratégique. J'ai entendu les réactions unanimes. Quand un point fait l'unanimité il faut en tenir compte même si évidemment cette unanimité est limitée par le nombre. Dès qu'un point fait discussion, on peut ne pas le relever, on peut défendre son point de vue. Si le sentiment est partagé par tous alors c'est folie de ne pas en tenir compte, c'est là qu'on fait le film seul et pour soi même.  J'ai donc tenu compte de l'unanimité. Qui d'ailleurs ne s'exprime pas toujours très clairement.
Ce qui est certain c'est que cette même unanimité, aujourd'hui, vient soutenir les moments les plus importants du film, ses affirmations, ce qu'il pose sur la table comme étant son identité, je pourrais dire son invention. La vraie terreur aurait été que l'invention du film fasse unanimité contre elle. Aujourd'hui c'est le contraire. Elle emporte l'adhésion. C'est pourquoi je peux sortir du montage image apaisé. Enfin.

07 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 7

Je suis épuisé.
Le temps de la colère est passé. Voici le temps de l'anéantissement.
J'ai livré le film aux producteurs. J'ai dit : voici le film que je livre. S'ils avaient encore de petites remarques à faire (les "quinze dernières secondes" dont je parlais de manière un peu métaphorique), il fallait qu'ils fassent le deuil du film qu'ils auraient voulu avoir et acceptent celui que j'ai écrit puis réalisé. Je ne toucherais plus rien en attendant le verdict des distributeurs (EuropaCorp).
Les distributeurs ont vu. Ils ont aimé paraît-il (je n'ai pas assisté à la projection pour leur laisser le loisir de parler librement). Ils ont vu que le film tenait sa promesse. Ils sont contents. Ce qui n'est pas rien vu justement l'ambition de la promesse.
Ils ont des remarques sur des détails, des moments, rien de fondamental paraît-il, rien qui remette le film en question. Juste des remarques. C'est légitime. C'est le jeu. Le distributeur, surtout quand il s'agit d'un grand groupe comme celui-là, dont l'investissement a été conséquent et vital, a son mot à dire.
C'est le jeu d'écouter, voire d'entendre et de continuer à travailler.
Mais je ne sais pas comment je vais trouver la force, de nouveau, d'essayer de comprendre, d'imaginer des solutions qui me satisfassent autant qu'eux, de renoncer à des choses si je ne suis pas convaincu.
J'avoue que j'atteins ici, ce soir, ma limite.
Le temps maintenant nous est compté. Il va falloir probablement faire des choix douloureux, choisir entre eux et moi sur certains points. Choisir entre le renoncement d'un côté ou l'incroyable épuisement qui résulte de la résistance.
Quelle putain de solitude.
Parce qu'il ne faut pas croire que résister est facile. C'est exténuant. Défendre une scène qu'on a écrite, tournée, désirée et que l'on continue d'aimer, de trouver légitime, défendre cette scène envers et contre tous, envers une certaine unanimité, ce n'est ni facile, ni reposant.
J'ai du mal à renoncer à contenter tout le monde. Quelques fois on n'a pas le choix. Il faut trancher. Et aucune option n'est confortable. Aucune.
Aujourd'hui vient la phase de l'inconfort absolu qui consiste à défendre un bout de terrain dont on ne sait absolument pas s'il en vaut la peine.
J'aimerais être fou. j'aimerais faire l'artiste. J'admire ceux qui le sont, ceux qui le font. Mais ça me demande à moi une énergie considérable. A un moment de fragilité extrême.
Je dois jouer le jeu. On ne me dit pas assez que c'est bien. On me le dit, on me le dit plus que sur de nombreux autres films que j'ai livrés. Je devrais m'en contenter. Mais je n'y parviens plus.
Je ne sais pas si je vais avoir la force de tenir la barre. Si je ne vais pas devoir la lâcher un peu, au risque de m'en vouloir plus tard, de le regretter profondément. Il faut que je me persuade que ça sera négligeable au vu du film global.
Les dernières batailles sont dérisoires, d'un côté comme de l'autre. c'est là que la question de confiance est posée. C'est pourquoi il faut travailler avec des gens de confiance absolue. Car c'est dans ces moments là qu'il faut se reposer sur cette confiance. La confiance ici est ébranlée, fatigue oblige.
Je dois jouer le jeu. Je ne fait pas le film pour moi. Je le fais pour le sortir de moi et l'offrir aux autres. Ce film, c'est moi, mais je ne m'appartiens plus. C'est le douloureux paradoxe.
Rien ne m'attristerait plus que de réaliser dans quelques mois que je me suis accroché à des chimères, et rien ne m'attristerait plus que de m'apercevoir que j'ai lâché des choses essentielles.
J'en fais trop, je prends les choses trop à coeur. Je suis c'est vrai au bord du burn out.
L'expérience qui est la mienne ne m'est d'aucun secours. Peut-être parce que ce film est important. Peut-être parce qu'il est ambitieux. Je ne sais pas. Peut-être parce que l'expérience justement joue contre moi.
Pourvu que ça ne dure pas. Parce que là, ça commence à faire beaucoup.

03 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 6

Les 15 dernières secondes de combat...

L'ambiance a visiblement changé.
A la dernière projection, on sentait la différence. Les gens étaient contents. Il n'y avait plus ce sentiment d'avoir un film potentiellement bien. Juste un sentiment de contentement.
"C'est très réussi", "c'est un grand film", "Le film est là", "La promesse est tenue".
Il ne faut pas plus être dupe de cette bonne impression. Je la constate juste. C'est mieux comme ça quand même.

Le montage image touche à sa fin. A chaque projection, le nombre de modifications à apporter s'amenuise. La plupart des noeuds ont été dénoués. Des solutions ont été apportées à chaque point d'accrochage. Pas partout. Il y a des endroits du film que j'ai défendus bec et ongle, autour desquels j'ai érigé une forteresse : pas touche.
Mais j'ai tenu ma ligne : l'écoute flottante.

C'est vrai que je me suis particulièrement braqué. Pas supporté la façon de me dire les choses, vu de l'irrespect dans chaque mot. Mon impatience a joué un rôle quand on me renvoyait à mon atelier en me disant : pas encore là.
C'est vrai que c'était dur et anxiogène. Mais la parade a été, comme d'habitude, la souplesse. La raideur pompe trop d'énergie. Tant qu'il est possible d'être souple c'est préférable dans la mesure où il reste encore deux mois terribles à passer, terribles au sens où je vais devoir me démultiplier.

J'ai décidé d'entendre toutes les "horreurs" qu'on me dit et d'écouter ce que ça réveille en moi pour améliorer le film comme je le vois, comme je le désire.
Mais c'est très difficile de savoir ce qu'on veut. Très. Comme si on était transparent à soi-même, comme si les sentiments qu'on pouvait avoir sur son propre film n'étaient pas mêlés, complexes voire contradictoires : plaire aux autres ? Plaire à untel ou untel ? Se satisfaire soi-même ? Admirer son propre travail ? Chercher le succès ? Chercher la reconnaissance ? Que doit-on sacrifier pour obtenir l'un ou l'autre ? L'accord parfait ne semble pas exister. Il faut faire un choix.
Qui a raison et pour aller où ?
Je ne veux pas avoir de regret. Je ne veux pas trancher aujourd'hui et me mépriser plus tard. Mais comment savoir la vérité ? Il y a là une impasse.
Le "connais toi toi-même" confirme ici son ridicule. Ecoute ton coeur, sois toi-même : autant d'absurdités. Je n'y ai jamais cru et ce n'est effectivement qu'une question de foi. On ne lit pas en soi on croit lire en soi. Combien de gens n'a-t-on pas vu se mentir à eux-même ? Sincèrement ?
Bref.

Oui j'ai décidé de faire confiance à ma propre vision et de piller ce qu'on me dit, même les choses les plus étrangères pour mettre toujours à l'épreuve mes propres convictions. Sur cette scène dont on est satisfait et qui ne passe pourtant pas, n'y-a-t-il pas quelque chose à faire pour que ce soit juste mieux ? Quoi ? Qu'importe, écoutons ce qu'on nous dit même si ce qu'on dit est faux, écoutons le et voyons si ça ne nous inspire pas une possibilité d'améliorer. Pas pour que "ça passe" auprès de ceux qui résistent. Mais pour que ce soit mieux à nos propres yeux.
Et tout le film y est passé comme ça. Il a gagné. A nos yeux et aux yeux des autres. Et l'attention était grande de ne pas nous trahir nous-même dans l'opération. De ne pas être dépossédé.
Il y a des moments où c'était sur la corde raide. Ça peut se jouer sur un plan. Un seul !
Un plan unique peut devenir l'objet d'une véritable bataille idéologique entre le film tel que je le défends dans le noir et le film qu'on voudrait que je livre au nom des intérêts supérieurs de la nation. Combat inégal. Et un seul plan peut être prétexte à une véritable fureur.
Nous avons été assez souple pour apaiser à chaque fois cette fureur sans que personne ne sorte perdant.

Sauf les endroits décrits plus haut comme étant les forteresses imprenables, celles qui sont l'affirmation du film, celles pour lesquelles je ne rendrai jamais les armes. Il n'y en a plus beaucoup et elles se résument, croyez-le ou non, à un plan, ou une phrase de dialogue.

Jusqu'à hier il restait néanmoins un point d'accrochage majeur.
Les quinze dernières secondes de combat.
La colline pour laquelle deux armées entières peuvent se battre, le point stratégique qui peut se résumer à un point d'eau minable, à un carré de verdure dérisoire. La fureur...
Oui quinze secondes qui résumaient à elles seules le gap entre celui qui fait le film et tous les autres. Tous les autres. Les quinze secondes qui vous plongent dans la solitude, pour lesquelles vous n'avez que peu de soutien. Votre armée ne tient que dans la salle de montage ou dans le studio musique.
Contre tous les autres.
Quinze secondes (donc moins qu'un plan) dont vous avez le sentiment qu'elles font votre film. Si vous les coupez, c'est votre film que vous salissez, trahissez. Si vous les lâchez vous abdiquez.
Dérisoire non ? Peut-être. On pourrait trouver ces quinze secondes dans les films qu'on aime. Les quinze secondes qui font qu'un film s'affirme ou non, pose quelque chose ou non. Elles ne sont jamais si essentielles que ça bien sûr, elles ne font jamais basculer le film vers le oui ou le non. Mais elles sont exemplaires et stratégiques. Vous êtes dans ces quinze secondes. Et c'est bien parce qu'on les attaque que vous les défendez. C'est parce qu'elles sont remises en cause qu'elles deviennent fondamentales.

Il restait ce point d'eau à défendre alors que les forces commencent réellement à baisser.
Mais j'ai trouvé la solution hier soir.
J'en suis sûr.
De la même manière, ces quinze secondes, je ne vais pas les rendre, non. Mais j'ai trouvé le moyen de les améliorer, de les transformer de telle sorte qu'elles ne fassent plus l'objet d'une lutte à mort, c'est à dire idéologique. J'ai trouvé le moyen de les préserver sans qu'il y ait de perdant.
Est-ce une façon de parler que de parler d'idéologie pour un film d'amour ?
C'est pourtant là que se joue l'affirmation du film, hors de sa mécanique narrative.
C'est justement au niveau de l'histoire d'amour que le film est un terrain de combat politique. Ce n'est pas dans la description de rapports géo-stratégiques qui met en scène russes et américains, services secrets et puissances financières. C'est dans le rapport amoureux que le film s'affirme, qu'il se signe.

Dans ce film, je ne peux pas dire plus (ni moins) que : la femme relève le gant.
Et c'est là que se situe la bataille entre ce que je veux préserver et ce que je peux concéder.