28 mars 2013

Le cinéma est mort

Le cinéma est en train de vivre une crise qui s'aligne sur celle qui touche l'Europe. Le conflit oppose les réalistes (tendance libérale ) et les conservateurs (tendance sociale). Les uns prennent acte de la réalité du marché, les autres continuent d'opposer à celle-là la réalité des existences sociales.

Nous assistons aujourd'hui en Europe à l'opposition entre les peuples et le marché. Pourtant le marché ne peut pas espérer s'équilibrer sur le dos des peuples. Et les peuples ne peuvent espérer s'en sortir en niant les réalités du marché.

Le cinéma français souffre aujourd'hui de cette opposition.
Et ce qu'on appelle les "talents", nouveau nom pour les artistes (une évolution sémantique qui en dit long sur la tendance) se retrouvent coincés entre les deux forces.

La réalité forte du cinéma français aujourd'hui c'est qu'il se délocalise. Qui en souffre ? Réalisateurs et techniciens. Réalisateurs car ils ne peuvent plus choisir leurs collaborateurs parmi les techniciens français et doivent faire avec la réalité professionnelle de pays qui n'ont pas de tradition cinématographique et les techniciens parce qu'ils se retrouvent au chômage.
Cela appauvrit la profession. L'expertise et l'expérience sont en train de se déplacer lentement hors des frontières.

La réalité du cinéma français aujourd'hui c'est que les temps de tournages se réduisent toujours plus. Qui en souffre ? Réalisateurs et techniciens. Réalisateurs car ils doivent trouver des solutions pour ne pas appauvrir leur travail. Techniciens parce qu'ils doivent accepter plus d'heures supplémentaires payées au forfait. Accessoirement, le cinéma en souffre aussi puisqu'on aligne ainsi les conditions de fabrication des films sur celles des téléfilms.

Réalisateur (et auteurs réalisateurs bien sûr) et techniciens devraient donc se retrouver solidaires dans une recherche de solutions aux problèmes posés au nom de ce qu'ils paient solidairement le prix d'une situation complexe.

Ce n'est pourtant pas tout à fait le cas et c'est un nouvel effet pervers de la crise.

La délocalisation de la fabrication des films français est due au déficit de structures de financements en France qui ne peuvent rivaliser avec ce que proposent d'autres pays plus libéraux ou imaginatifs.
C'est là que la structure économique et sociale française joue son rôle contradictoire. D'un côté elle veut préserver sa spécificité, et elle peut être fière de ce qu'elle ne cède pas aux sirènes du libéralisme, et d'un autre côté, se faisant, elle néglige le monde qui l'environne et dont elle ne peut se détacher et en paie un prix social et artistique fort.

La réalité des techniciens sous payés, parfois 50% au-dessous du tarif, soumis à la pression "qu'ils peuvent bien refuser, des centaines d'autres attendent derrière la porte", s'oppose à la difficulté pour les films français de se financer.

On vit aujourd'hui sous la dictature d'une équation logique imparable : "Ou le salaire, ou le travail". Il faut choisir.
Quelques fois c'est plus subtil : "ou les conditions de travail ou le travail", ou bien : "ou la précarité ou le travail".

La délocalisation du cinéma français a un prix : le chômage. Elle a une raison : le poids de la masse salariale dans les budgets (eu égard à la taille du marché). Donc : des salaires trop élevés se paient en chômage. Baissez vos salaires, on revient faire des films en France.
Et la nouvelle convention collective repose sur la même équation mais avec le discours inverse : On ré-hausse les salaires (sauf pour des films dont une commission décidera qu'ils ont le droit à l'existence sans la finance) au prix du chômage.
Des salaires plus élevés = moins de films viables = moins de films produits en France = plus de chômage.

On oublie de dire qu'aujourd'hui les techniciens sont très souvent payés bien en-dessous du tarif et les films se délocalisent quand même.
On oublie aussi de dire que c'est moins le niveau des salaires que celui des charges qui est en cause.
Ces oublis permettent malheureusement de faire peser sur l'opposition salaire/travail toute la responsabilité de la situation.

Mais il y a dans le cinéma une petite particularité, c'est qu'on y parle aussi d'art et d'artistes, pardon de "talents".
Et les artistes, eux, devraient défendre leur art contre le social ?
La fin justifie les moyens. Un beau film justifierait une entorse sociale (autrement dit : ce qu'apporte une véritable oeuvre artistique n'a pas de prix même social). Soyons plus précis : un film qui a la prétention d'être un beau film pourrait se payer au prix du social.

J'ai un peu de mal, je dois avouer, à accepter d'entrer dans cette équation. J'ai un peu de mal à accepter que mon film, aussi beau soit-il, puisse se faire au prix du social ou même au prix du travail.
C'est pourtant ce que m'impose, soit la réalité du marché (la délocalisation de Möbius se paie en travail), soit la défense du cinéma français, dans sa multiplicité, sa diversité, sa qualité et son inadéquation à la taille de son marché (qui se paie en salaire).
En tant que "talent", j'ai un peu de mal à choisir entre le travail et le salaire.

Je n'aime pas cette nouvelle convention collective car elle va pousser le cinéma français à se délocaliser encore plus et elle choisit délibérément le salaire contre le travail. Techniciens français : devenez belges ou luxembourgeois immédiatement, c'est votre salut ! D'ailleurs pourquoi pas ?
A terme, l'excellence professionnelle va changer de nationalité.

Mais je crois qu'il faut impérativement trouver une solution qui évite de choisir trop le travail contre le salaire.
Une innovation dans les formes de financement du cinéma français apporterait une réponse. Une meilleure articulation entre les cachets des uns (dont on a stigmatisé le montant dernièrement) et la réalité économique des films - et il y a de vraies solutions pour ça et elles ne sont pas soviétiques - serait une autre réponse.

A part ça, savoir si le cinéma est mort, c'est une autre histoire.
Le titre était juste du marketing.



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