27 décembre 2018

Un symptôme jaune : ce que sont devenus les médias


-->
Le mouvement dit des Gilets Jaunes est une déflagration. Comme l’a été l’élection d’Emmanuel Macron. Il est probable d’ailleurs qu’il faille considérer la première comme une réplique de la seconde.
La victoire était fragile. Elle était d’avantage due à un refus des programmes populistes que d’une adhésion à la proposition libérale de Macron.
Une proposition qui était quand même en tête du premier tour.
Alors oui, au second tour il faut choisir. Ce sont les règles actuelles de notre démocratie.
On peut contester ces règles, il y a des voies constitutionnelles pour le faire. En attendant il faut les respecter.
Il n’empêche que la victoire était en verre. Un an et demi plus tard, faute de résultat, la colère est montée et la déflagration a eu lieu.
Rien de nouveau. On a toujours parlé d’un état de grâce après une élection. Celui-là aura duré un an, ce qui n’est pas mal.
La fin de l’état de grâce a toujours signé le début des ennuis pour le pouvoir. Mais depuis quelques temps, les modes de communication et d’expression imposant leur format à la vie politique, les ennuis se manifestent avec une violence croissante.
La fin de l’état de grâce de François Hollande a vu naître un « Hollande bashing » inédit. En quelques mois c’était fini. Partout, à la radio, sur Internet et même à l’assemblée par ses propres troupes, Hollande était moqué, critiqué, rejeté.
Aujourd’hui avec Emmanuel Macron, le retour de bâton est encore plus violent. Les réseaux sociaux et les médias à leur traîne ont été la caisse de résonance d’un « ça suffit » brutal.

La démocratie représentative repose essentiellement sur la communication.
Le format de cette communication est un aspect fondamental de la démocratie. Changez le format et vous changez la démocratie. Et vous changez les représentants. Eux aussi sont formatés par la façon dont leurs messages peuvent ou non passer. Ils adaptent leur discours à ce format. Ceux qui ne s'adaptent pas, ils dégagent. Et de nouveaux représentants plus appropriés apparaissent.
On ne raconte pas la même histoire en une demi-heure ou en deux heures. Ça n’est pas la forme qui change c’est le fond.
La pensée politique est aussi modelée par le format. Et les propositions politiques s’y adaptent. Et donc la société elle-même devient la réalisation de ce format.

En 2002 Chirac a été élu parce qu’à la télévision, le spectacle de la violence quotidienne était plus fort que celui du chômage. Jospin avait réussi à réduire le chômage mais l’image d’un vieil homme agressé par des délinquants avait ravagé son bilan et son discours. Le thème de l’insécurité avait tout balayé parce qu’il épousait mieux le format de la parole politique d’alors qui était celui de la télévision.
Les médias sont comme l’eau qui va là où un passage se fraie en épousant la pente. L’eau ne pense pas. Elle obéit à une loi.
Les médias aussi obéissent à une loi. La loi du format le plus plébiscité.
Aujourd’hui c’est celui d’Internet et des réseaux sociaux.
Les journaux papier ont failli en crever. Ils ont cherché un nouveau business model qui leur permette de survivre. Et ils l’ont finalement trouvé : relayer la parole des réseaux sociaux comme s’ils étaient le nouveau champ des faits. Un nombre de « like » est donc un événement à l’égal d’une catastrophe naturelle. Et proposer systématiquement de l’information en continu, quelle que soit la nature de l’événement à couvrir. 
C’est-à-dire être imiter Tweeter.

Le format : faire comme si tous les événements pouvaient se réduire à une catastrophe, à une explosion qui entraîne chaque minute de nouveaux bouleversements. Comme si tout ce qui arrivait valait un récit en direct.
La force du direct… Et si ça n’est pas assez fort pour le direct, le direct le rendra fort quoi qu’il arrive.
Les journaux papier ou télévisés n’ont pas eu le choix. C’était ça ou mourir. Même problématique à la radio. Ce sont les réseaux sociaux qui imposent les sujets et les affects à commenter. Les réseaux sociaux sont les premiers de cordée de la communication. Les autres suivent. Car les réseaux sociaux c’est du direct. Du direct pur. De la bile déversée sans délai, de l’émotion exprimée sans filtre. C’est du démédiatisé.
Alors nous avons aussi les talk-show. Les commentaires et les commentateurs. Ils se réunissent et on s’attache à ce qu’ils soient divers, diversifiés. Ils commentent une actualité déjà formatée. Ils doivent suivre eux-aussi le mouvement. Ils sont les véhicules intellectuels du bashing car chaque jour, voire chaque heure, on leur demande de réagir et de commenter le direct. Ils doivent penser en direct. C’est-à-dire ne pas penser. Alors finalement autant inviter des non penseurs. Autant inviter des gens qui savent juste réagir pour ne jamais se remettre en question. Pas le temps.
Le questionnement est totalement éjecté des médias. Seule la certitude immédiate, rapide, sans aucune pause ni faille a le droit de s’exprimer.

C’est un des grands symptômes révélés par la déflagration jaune : Le niveau réel des médias. Ils sont devenus si mauvais qu’ils ont changé de nature. Ils hurlent avec les loups. Ils ne leur résistent plus. Ils ne sont plus le lieu d’une interrogation, d’une recherche de la vérité mais celui du coup de marteau qui enfonce le clou débile de la non-pensée des réseaux sociaux.

Ce symptôme est confirmé par la bonne santé d’un France Culture. Depuis deux ans semble-t-il son audience augmente régulièrement. Il est logique que dans un assèchement général de la qualité de la parole médiatique, celle qui résiste devienne un ilot sur lequel on va se réfugier. Tous ceux qui enragent de n’avoir autour d’eux qu’un flot de simplifications et de facilités intellectuelles cherchent les quelques propositions qui ne se soumettent pas au formatage.

Lueur d’espoir ? Les médias qui prennent le temps, qui prennent le risque de la complexité, peuvent trouver un public. Car non, Ils ne sont probablement pas si seuls, les gens qui refusent la défaite totale et définitive de la pensée.

16 décembre 2018

La réforme et la révolution


-->
-->
La chute du parti socialiste français a fait disparaître la gauche réformiste du paysage politique.
La victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017 a rendu pour un temps la droite inaudible.
Le mouvement « dégagiste » qui a mis les populistes de droite ou d'extrême droite au pouvoir un peu partout dans le monde avait favorisé en France la proposition libérale et centriste de Macron.

Preuve encore que la France n'a jamais été libérale, n'en déplaise à ceux qui voudraient trouver une excuse à leur radicalité en s'inventant un ennemi utile.
En effet le libéralisme a longtemps été défendu par Alain Madelin qui finalement n'a jamais été écouté, ni par Chirac, ni par Sarkozy.

C'est bien pourquoi la proposition libérale de Macron faisait figure de nouveauté. Et puisque personne n'y arrivait (à réduire le chômage, à relancer l'économie française), pourquoi ne pas essayer ces solutions jamais vraiment mises en œuvre (bien qu’esquissées par Sarkozy et Hollande).
Cette victoire qui a laminé les opposants réformistes a eu l'effet pervers d'attirer toute alternative dans le trou noir idéologique de Macron. On ne pouvait se démarquer de lui qu'à s'en éloigner fortement... aux extrêmes.

C'était tout le danger de cette victoire : favoriser et donc affaiblir deux extrêmes antagonistes et paralyser toute alternative réformiste.
C'est bien le même type de vent qui a permis la victoire de Macron qui aujourd'hui lui souffle très fort dans la figure, même s'il n'est pas porté par les mêmes personnes. Aujourd'hui, ce sont des électeurs du RN, de LFI et les abstentionnistes qui sont semble-t-il sur les barrages en gilet jaune, ce qui ne retire rien à l'expression de leur colère.
Je ne parle pas ici des excités, des professionnels de la casse, des complotistes notoires, qui se sont mêlés à eux, comme ils viennent toujours rôder là où ça sent le chaos.

Ce qui est étrange c'est de voir qu'à la réforme mise en œuvre par Macron on n'oppose aujourd'hui que la révolution. Or on ne peut contester la pertinence d'une proposition au nom de ce qu'il faudrait justement n’en faire aucune mais plutôt procéder à un changement radical.
Il est tout à fait légitime de refuser d'améliorer le système et de vouloir plutôt le changer. Je ne dis donc pas que la position révolutionnaire n'a pas de sens. Je dis juste qu'elle ne peut faire dialogue. 

La proposition révolutionnaire des insoumis ou du RN (oui je les mets côte à côte quand ils peuvent sembler dos à dos, mais enfin, ils sont bien côte à côte derrière les gilets jaunes) ne peut faire dialogue (ça n'est d'ailleurs par leur but). 
Comme les réseaux sociaux sont justement le lieu de l'exclusion du dialogue mais plutôt le lieu de l'invective, il est normal que les propositions radicales y trouvent leur compte.

Et pourtant, les propositions des opposants populistes français ne sont viables qu'à condition d'enfermer la France sur elle-même, de refuser les paramètres internationaux, de casser des traités... Les solutions qu'elles proposent exigent de négocier avec les voisins et de s'extraire du monde tel qu'il est aujourd'hui

Négocier avec les voisins... on voit ce qu'il en est avec Theresa May et le Brexit. Voilà bien l’illustration de ce que la proposition populiste est une escroquerie politique.

Ces solutions ne peuvent être mises en œuvre qu'à des conditions dont on ne voit pas aujourd'hui comment elles pourraient être remplies.
Et si ces conditions étaient un jour réalisées, cela signifierait que le monde est devenu un ensemble de nations emmaillotées les unes contre les autres, situation propice à la misère d'abord et à la guerre ensuite. 
Il n'empêche que ces oppositions guettent la moindre situation de révolte, pour pousser leur avantage. Le mouvement des gilets jaunes, par manque d'expérience politique et méfiance radicale envers toute forme de représentation séduit tous ceux qui par définition excluent le dialogue.

Où est la gauche qui, elle, dialoguait ? Pourquoi a-t-elle disparu ?
Je pense que depuis Maastricht et finalement la confirmation que le monde se globalisait, la gauche réformiste n'a pas réussi à se repenser, à repenser une transformation de la société, à imaginer des structures sociales plus justes au sein d'un monde qui avait choisi et verrouillé, après la chute du communisme, le système de l'économie de marché.

Aujourd'hui, la globalisation rend impossible la remise en cause de ce système, impossible la « démondialisation » pour reprendre une ineptie proposée il y a quelques années par un des ténors de cette gauche en errance.

Le libéralisme a longtemps semblé être la seule solution au problème du chômage et de la croissance. Mais il éloigne l'homme de lui-même. Il répond probablement très bien à des problèmes globaux et structurels mais au prix d'écraser ce qui est à taille humaine. Le libéralisme favorise et massifie l'accès aux biens de consommation, au prix de la qualité des produits, de la qualité de vie, parfois au prix du chômage (on peut acheter les biens à bas prix mais ils sont produits à l'étranger).
Il propose des solutions à l'enrichissement global des nations mais laisse de plus en plus de gens hors du mouvement et les coupe de toute perspectives d'amélioration de leurs conditions.
Le libéralisme a cette tendance à isoler l'homme de ce qui est à sa mesure.

Le mouvement des gilets jaunes s’inscrit dans un mouvement global qui a porté les populistes comme Trump ou Bolsonaro au pouvoir.
Je pense que Macron a bénéficié de ce mouvement. Le contexte particulier de la France a voulu qu’on essaie d’abord au centre avant d’essayer aux extrêmes.
Mais c’était probablement être trop optimiste devant les effets ravageurs des deux révolutions qu’on a connues en quinze ans : Internet puis l’intelligence artificielle.
Ces deux révolutions ne peuvent être suivies que par les mieux préparés et les plus souples socialement. Elles rendent encore plus impossible la perspective de s’en sortir pour ceux qui n’ont pas les moyens de les accompagner.
Elles rendent impossibles une vision optimiste de son avenir et de ce celui de ses enfants.
C’est la réalité de cette impossibilité qui je pense explique le mieux la fureur de ces mouvements de foule. Une vraie désespérance devant l’avenir poussent certains à vouloir tout balayer.

Comme le dit Taubira la gauche a une terrible responsabilité devant cette désespérance. C’est elle qui devait la prendre en charge. Mais Taubira est dans l’incantation. Elle ne propose rien, n’ose rien. C’est tout le problème des leaders actuels de la gauche qui dialogue. Ils n’ont strictement plus rien à dire. Ils laissent la place à la gauche qui ne dialogue pas. Celle qui ne vous accuse plus d’avoir tort mais vous demande d’avoir honte.

Macron doit comprendre cette réalité, il doit y trouver une réponse. Il doit trouver le moyen d’assortir sa proposition initiale d’une prise en charge sociale de ceux qui ne peuvent pas prendre le train des changements monstrueux de notre monde et qui n’ont aucune chance de remonter dedans. Il doit avoir cette intelligence, le temps que la gauche se réveille et avant que l’extrême droite ne vienne appliquer son programme fantasmatique.