28 août 2021

L'âge du non

 L’âge du non


Il y a un âge du non.

Tous les parents le connaissent.

Le bébé passe d’abord par une période d’assujettissement aux parents et puis bientôt, vers deux ans, découvre la joie du refus, presque souvent systématique aussi.

Il s’agit d’une affirmation de la position de sujet : je ne suis pas toi (discours tenu à la mère ou au père), je suis moi, je peux te dire non, quand bien même ce que tu me demandes est pour mon bien.

Le non comme écrasant le bien au nom du Je.


N’est-ce pas ce à quoi on assiste avec le refus de la vaccination et son corollaire, le refus du pass sanitaire ?

Mais le non est plus large aujourd’hui. Cet âge où il s’agit de contester une autorité, celle à laquelle on a d’abord consenti, cet âge est celui de nos sociétés.


Le non s’est d’abord adressé aux politiques, via l’abstention puis le « dégagisme ». Mais il s’est étendu en même temps à toute forme d’autorité, celle du policier, du législateur, celle du savoir, puis à l’autorité de l’expertise. Celle du prof, celle du scientifique.


Je pense que cet âge du non est lié à l’aliénation de la société aux réseaux sociaux.

Évidemment ce non est plus important que la raison. Mieux, il est un non à la raison.


Commençons par les stars de cinéma. Pas celles d’aujourd’hui, plutôt celles d’hier.

On a toujours dit qu’il fallait être avare de son image pour se faire désirer et faire perdurer le glamour, le fantasme. Les stars faisaient rêver si elles se faisaient rares. Trop apparaître dans les journaux, les émissions de télévision, participer à d’autres exercices que ceux de la promotion, parler à tort et à travers, bref s’humaniser d’une certaine manière,  vous enduisait d’une couleur de réel qui tuait le charisme, l’aura.

Les stars sont redescendues du ciel et se sont mêlées au commun des mortels. Et elles en sont mortes.


Certains reproches à Macron relèvent de la même problématique. De sa vidéo avec deux rappeurs, de son dialogue sur Tik Tok, on en retire une dégradation de la fonction présidentielle. On lui reproche d’être Jupiter mais on ne veut pas que Jupiter descende dans la rue. Et s’il le fait, on lui donne une baffe.


A trop se montrer, on devient comme les autres, comme les « gens normaux ». Et alors, on ne peut plus vraiment présider au destin du pays, on ne peut plus vraiment diriger.

Car pour cela il faut une certaine opacité, un certain mystère. Oui il y a encore les services secrets. Le pouvoir repose sur le secret. La transparence tue l’autorité. Il n’a existé aucun pouvoir sans secret, même les plus communistes de tous. Je dirais surtout les plus communistes de tous.


L’autorité repose sur quelque chose de mystérieux. On vous la concède, on vous la reconnait à condition de rester un peu derrière le rideau. Parlez trop et on ne vous écoutera plus, on ne vous croira plus.

Les politiques ont trop parlé. Ils ont cru aux micros qu’on leur tendait. Ils ont cru qu’il fallait être normal alors qu’on sait bien que le pouvoir ne l’est pas. Vouloir exercer un pouvoir politique n’est pas normal. C’est pour cela que les règles démocratiques, parfois complexes, ont été inventées.

Les politiques ont participé à toutes sortes d’émission de divertissement. Ils ont diverti. Ils se sont perdus.

Il en sera de même pour tous les experts.

Parlons des scientifiques.

La contestation de leur autorité est exactement proportionnelle à leur présence dans les médias. Plus ils parlent plus ils montrent leurs faiblesses et donc la faiblesse apparente de la science.

Après tout, s’ils parlent trop, ils se trompent, s’ils se trompent ils sont comme nous, alors nous aussi nous pouvons nous prévaloir du savoir.

On les a trop vus trop entendus. Leur parole vaut donc la nôtre.

C’est évidemment oublier la rigueur scientifique. Mais celle-ci s’exerce loin des plateaux de télévision. Les années d’études s’effacent dans l’immédiat médiatique.



Les manifestations anti-pass : 


Il ne faut pas être un grand sociologue pour comprendre, au-delà des récupérations et exploitations politiques par tous les extrémistes professionnels, qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un non à Macron. Autant dire d’un non au décideur, au maître, au père.

A celui qu’on traitera volontiers de dictateur au-delà de toute raison.


Que Macron fasse preuve d’autorité (quand on lui reprochait de n’en avoir aucune) et voilà qu’il déchaîne la révolte, il libère le non.


Il est bon de dire non au maître. C’est s’affirmer, affirmer sa position de sujet, de décideur autonome, en toute conscience.

Quand bien même il s’agirait ici de dire non à une solution à la crise mondiale.


La non au pass est un non au politique que l’on accuse d’être assujetti aux experts.

Le non au politique est un non au savoir, celui de l’expert en politique.

Tous les savoir y passent.


On nous dit : "qu’on nous prouve que ces vaccins sont efficaces".

Et, malgré la recommandation de la quasi-totalité des scientifiques (moins les gourous et quelques populistes), on voudrait des preuves.

De quelles sortes pourraient bien être ces fameuses preuves ? Tout le process de validation scientifique est mis en cause ! les publications dans les revues, les études, les données, tout est remis en cause. Donc de quelle preuve se satisferait-on quand la notion même de preuve est rejetée ?

De même qu’on nous dit : il n’y a pas de recul.

Quel est le recul qui serait le bon ? Mis à part celui des millions de tests grandeur nature (maintenant le milliard), les années de recherche qui aboutissent à l’utilisation de l’ARN messager ?


C’est une mascarade, pas un débat. Des milliers de manifestants disent non au savoir au nom d’une liberté que le savoir limite.

C’est vrai, le savoir contraint parce qu’il est de l’ordre de la raison et la raison est une limite à mon désir.

On apprend aux enfants de ne pas voler les jouets d’un autre dans le jardin, de ne pas « se servir », et aussi de ne pas courir vers le précipice. On leur apprend les règles de la vie en société et les règles de la préservation de la vie.

Ce sont des règles. Oui, des limites à une liberté qui n’existera jamais que dans le fantasme.


Pourquoi l’âge du non est-il celui d’aujourd’hui ? Pourquoi sous Macron ? Pourquoi pas avant ? Sous Hollande ? Sous Sarkozy ?

Le sentiment de ne plus être totalement sujet existait déjà.

Mais depuis il y a eu le « dégagisme » pour l’incarner.

Et ensuite le retour normal, prévisible, logique, de la désillusion.


Non pas que Macron soit plus décevant que les autres. Mais l’idée c’est qu’une fois passée l’illusion qu’on pouvait changer, on revient à la frustration première, celle de vivre dans une misérable démocratie, un misérable monde de raison, un horripilant monde de règles.

Ça a pu s’appeler le Malaise dans la civilisation.


On peut espérer donner un grand coup de pied dans la fourmilière, on peut espérer tout casser, tout changer, même pour le pire, la désillusion sera toujours au bout du chemin, car au fond, le problème, c’est la vie en société, la vie avec les autres, la vie selon des règles. 

On ne peut vivre seul, on ne peut vivre selon ses propres lois.

L’intérêt de la démocratie c’est de pouvoir changer de parents. On a la main sur eux. C’est tout ce qu’on a trouvé comme solution. Ils fautent, hop on les change.

Mais le choix n’est pas toujours idéal. C’est vrai. Ça aussi il faut l’accepter.

Oui, on aimerait choisir un second tour à défaut d’un candidat. Choisir un duo de duellistes.

Choisir c’est être frustré de l’idéal.

On veut tout, comme les enfants, pas juste ce qui est possible, ce qui est réel.

On veut l’impossible.

Malheureusement, on ne peut avoir que le possible que le Réel nous offre.

Donc on crie, on violente. On s’affirme. 


On s’affirme contre le bien de la société c’est-à-dire contre la vie de nos parents, la santé de nos enfants, notre propre santé. 

Le non c’est le non à ce qui fait société, même si le plaisir de se retrouver (les manifestations en août, c’est nouveau), le besoin de faire groupe est très fort ici.

Faire groupe pour le non. Quoi qu’il en coûte.

Ici, le non est un oui à la mort et à la maladie. 


Nous avons tous une très grande responsabilité dans l’affirmation catastrophique d’un non mortifère.