08 mars 2022

Le non-sens des mots

 

Il faut s’entendre sur le sens des mots sinon c’est le règne de la violence.

C’est ce qu’en substance disait Platon.

Que ces mots pointent vers des choses ou des concepts, si on ne parle pas de la même chose, on ne peut s’entendre. Et si on ne peut s’entendre alors on se bat.

C’est dire l’importance d’une langue commune au sein de laquelle les mots doivent avoir un sens, un sens sur lequel on peut s’accorder.

 

Nous vivons à une époque où la vérité, comme le disait Lacan, a structure de fiction.

La vérité peut être considérée comme une histoire parmi d’autres.

Pourtant la vérité se recoupe. C’est ce qui la différencie de la fiction. La vérité, le Réel la corrobore. Niez la vérité, le Réel viendra vous demander des comptes.

Niez la vérité de la pandémie du Covid, dites que ça n’est qu’une grippette, le Réel viendra vous démentir, et peut-être même vous punir.

Affirmez que le vaccin ne sert à rien et vous pouvez en mourir.

On peut dire ce qu’on veut. 

Les faits, on n’en fait pas ce qu’on veut.

On peut toujours les interpréter, en dire n’importe quoi, ils insistent, dans le temps et dans l’espace.

 

L’avenue du règne de l’image a consolidé dès les années 70 la structure de fiction de la vérité.

Voir pour croire.

A travers les images proposées par la télévision, nous avons pu penser que la vérité, la réalité, étaient mise en scène comme le reste. Tout n’était qu’une question de cadrage, de montage.

Avoir accès au monde seulement à travers l’image a été une première remise en cause de la vérité.

Les images en fait ne disent rien. Elles montrent.

La vérité ne se montre pas. Elle se dit, en relation avec la logique, la science, et elle ne se dit qu’à moitié comme le suggérait encore Lacan. D'où sa structure de mystère. Ce qui la caractérise, c'est qu'elle nous échappe. C'est bien pourquoi les théories du complot tournent toujours le dos à la vérité. La réalité qu'elles dépeignent ne nous échappe jamais, elles flattent toujours nos craintes ou nos désirs. Elles sont l'expression de notre fantasme.

 

Le second pas, plus important encore, a été celui du rejet des élites, précipité par les réseaux sociaux.

La revendication du droit à tout, de l’accès à tout, amplification d’un mouvement de démocratisation générale, est venu recouvrir le droit légitime de savoir, le droit de connaître puis celui d’être entendu de tous et enfin celui d’être reconnu comme sachant, comme expert.

La démocratisation de l’expertise, sa massification, a dégradé la vérité.

La science est rejetée au nom du droit au savoir, l’expertise scientifique, la connaissance qui résulte de nombreuses années d’étude sont rejetées comme autant d’obstacles au droit d’être ce que l’on rêve d’être. 

 

La vérité en pâtit. Les faits que l’on recoupe, ceux que le Réel confirme, ceux qui répondent à la logique, au raisonnement, ces faits ne sont plus aujourd’hui que le résultat d’un fantasme. Ils n’ont plus de sens ni de réalité en soi.

Et donc les mots n’ont plus de sens non plus.

On parle de dictature, de violence, de nazis… sans qu’aucune réalité ne vienne en valider la pertinence.

On dit ce qu’on veut. Plus rien n’est stable ni établi.

 

Quel est le but de tout ce mouvement, quelle est sa raison ?

Quand les mots n’ont plus de sens, la raison ne maîtrise plus rien et seule la loi du plus fort est valable.

Celui qui a raison est celui qui a le pouvoir.

Je peux dire que je dénazifie un pays au-delà de toute logique, au-delà de toute vérité, je peux dire que les Ukrainiens m’agressent quand je les attaque, je peux dire que je libère le peuple ukrainien quand je l’écrase, je peux dire que tout le monde est d’accord avec moi quand tout le monde pleure de ne pas pouvoir s'exrprimer, je peux dire tout ça parce que je suis le plus fort, ou du moins reconnu comme tel.

Le règne de la violence m’avantage parce que je domine. Jusqu’à preuve du contraire.

Rousseau disait que la loi du plus fort n’était justement pas une loi. Le pouvoir n’est pas stable. On trouve toujours plus fort que soi, un jour, quelque part.

 

Le non-sens des mots est l’avènement du règne de la violence et de la guerre. Et la guerre favorise pour un temps la privatisation du langage par le plus fort.

Pour un temps car ça ne dure jamais. 

En voulant imposer la loi du plus fort, Poutine a signé sa fin.

Il peut dire ce qu’il veut, le sens des mots lui échappera et le Réel viendra lui demander des comptes.

Un seul homme fait souffrir deux peuples, apporte la tragédie sur nous tous, un seul homme a arraisonné le langage pour lui faire dire ce qu’il veut. Mais le langage ne lui appartient pas. 

Les mots le boufferont un jour ou l’autre.