Cette semaine est la dernière de la
Post-Production. Nous achevons le mixage de la version française à Bruxelles
pendant que les dernières retouches à l’étalonnage se font à Paris sous la
supervision du directeur de la photographie, Pierre Novion.
Je reçois encore les fichiers QuickTime des dernières
versions de quelques plans de trucage qu’il reste à finaliser. Je n’ai pas encore
vu le déroulant du générique de fin mais ça ne saurait tarder.
Le film s’achève donc et avec lui les derniers soubresauts
créatifs qui sont de l’ordre du millimètre. La version française a été pour moi
un combat pour minimiser la déperdition par rapport à la version originale.
Une petite partie de la presse a déjà vu le film et les
réactions qu’on me rapporte semblent positives.
J’évite encore d’y penser et de trop y croire.
Nous sommes réellement à cheval entre la fabrication et la
commercialisation. Une phase se termine quand l’autre est déjà commencée. Je
m’accroche encore à ce film qui déjà m’échappe alors qu’on le livre au regard
des autres, des professionnels, des critiques, de ceux qui l’attendent ou qui
n’en ont jamais entendu parler. J’ai l’impression d’être une sorte de parasite agrippé
à une pellicule qu’on est en train de secouer afin que je lâche prise. Je n’ai
pas fini bordel !
Mais en fait c’est terminé, livré, emballé. Il ne manque
plus que la mise en rayon.
Je ne suis pas de ceux qui opposent l’art à l’industrie. Je
ne me sens ni sali ni agressé par le fait qu’un film doit être commercialisé.
C’est juste étrange quand les phases se chevauchent. J’ai même déjà donné
quelques interviews entre deux enregistrements pour la VF !
Un parasite qui s’accroche. Le film n’est plus le mien. Il
n’est plus à moi.
Je vis avec depuis si longtemps maintenant que j’ai peur
qu’il me quitte. Non que j’appréhende la façon dont il va être reçu. J’ai juste
peur du vide.
Dans ce cas il faut avoir d’autres choses dans la tête, être
déjà tendu vers un des ces autres projets qui ne se réalisera – dans le
meilleur des cas – que dans deux ans !
C’est très étrange de terminer sur cette VF. Je vois et
revois le film encore mille fois par jour mais pas dans la langue dans lequel
je l’ai tourné ! Avec d’autres voix ! Heureusement que CdF se double
elle-même. Je reste un peu en famille. Heureusement aussi qu’on ne touche pas
au russe de JD. Mais enfin, tous les autres acteurs américains qui me parlent
en français ! Le film s’éloigne. Il me glisse entre les doigts. Il n’est
déjà plus là, plus lui-même.
J’ai hâte d’assister aux projections publique. J’ai hâte de
sentir la salle. J’ai hâte de voir si (que) le film fait l’effet attendu.
Evidemment j’espère ne pas tomber de haut. J’espère que les spectateurs vont
être aussi émus que je le voudrais. J’ai travaillé à ça, travaillé pour ça. Les
premiers retours me confortent un peu. C’est pourquoi j’ai hâte de donner ce
film et d’assister à la réception. Au moins quelques fois, pour que ça fasse un
peu sens de l’avoir fait. Ensuite, il partira pour de bon. Je vais
l’accompagner un tout petit peu encore. J’y ai droit...
Je vais le montrer à l’équipe, je vais le montrer à ma
famille, à mes amis, je vais le montrer à mes collègues. Je vais
le montrer aux professionnels. Toutes ces projections auront quelque chose de
tendu. Elles seront j’espère agréables. J’en ai connu des terribles. Même pour
Un Monde sans Pitié. Je me souviens quand je l’ai montré à mes copains. C’était
une catastrophe. Tout le monde s’est senti balancé !
Une bonne projection ? Des gens qui ne me connaissent
ni d’Eve ni d’Adam, qui se foutent de savoir qui je suis et pourquoi j’ai fait
ce film, qui vont le recevoir avec l’innocence et la cruauté de spectateurs
anonymes. C’est ceux-là dont je veux palper les réactions quand l’écran sera
immense, rempli des images que j’ai tournées il y a huit mois. Je n’y verrai
pas une vérité sur le film. Il n’y en a pas. Du moins pas d’aussi simple. Mais
il y aura une réalité. Celle d’une transmission. Une transmission qui ne sera
pas biaisée. Une bête transmission, simple, qui peut être douloureuse ou très
émouvante. S’ils pleurent, ceux-là… je pleurerai avec eux. C’est certain.
Oui j’ai hâte. Et ça va venir trop vite. Et ça sera fini
trop tôt.
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