Nous faisons face au Réel.
Une force qui, comme les forces de la nature, ou celles du corps, ici celle du corps social, échappe à notre maîtrise, à notre contrôle, à notre désir et à nos craintes.
Ce Réel qui nous tombe dessus et nous gifle par surprise.
On peut l’avoir ancipité, comme on anticipe les séismes ou les virus mais le moment où il frappe, sa force et son sens nous surprend toujours. C’est sa définition. La sidération est sa signature
Le réel ici est un peuple qui semble vouloir que l’extrême-droite prenne le pouvoir. Peut-être sans savoir exactement quelles en peuvent être les conséquences ou sans vouloir le savoir. Peut-être le sait-il et justement le souhaite-t-il.
Peut-être souhaite-t-il l’abîme. Peut-être souhaite-t-il s’abîmer.
Peut-être – et c’est l’hypothèse de certains – le désespoir le pousse-t-il à la faute, à sauter dans l’inconnu en forme de précipice, à essayer ce qui ne l’a pas encore été.
Ils savent ou non. Qu’importe.
Cette force les dépasse aussi.
Comme les Anglais qui ont choisi le Brexit, séduits par des discours trompeurs et qui probablement le regrettent maintenant, nous allons donner le pouvoir à l’extrême-droite qui chante la fin de l’immigration, de l’Europe et de la résistance à Poutine.
C’est ce que veulent les gens. Ils ne sont plus sensibles aux arguments de raison, ils n’y croient plus. Avec les élites ils ont rejeté la vérité.
C’est une force qui vient de loin et qui dépasse la France.
Le populisme d’extrême-droite (aidé, épaulé par le populisme d’extrême-gauche) domine partout dans le monde occidental.
Trump, Johnson, Meloni, Le Pen, en Hollande, en Hongrie, au Brésil, en Argentine.
C’est une tendance lourde qui en France a été ralentie par les deux élections de Macron.
Comme le choix de se donner un sursis, nous avons eu une offre de dégagisme venue du centre. Nous l’avons choisie et c’est comme ça que nous avons repoussé l’échéance.
Mais la force continuait de pousser et rien ne peut l’arrêter. Surtout pas un homme seul. Surtout pas cet homme trop jeune, trop sûr de lui, trop cérébral.
Deux facteurs sont à l’œuvre.
L’angoisse d’une société transformée trop rapidement par une ou plusieurs révolutions technologiques qui changent la donne sans même qu’on ait eu le temps de métaboliser les précédentes.
Des révolutions technologiques qui recouvrent le monde et le transforment. A l’instar de la révolution industrielle.
A cette dernière révolution a répondu une conflagration générale nourrie d’angoisse, de rage et prise en main par des salauds populistes. On a précipité les corps dans des combats titanesques, dans des holocaustes terrifiants, des persécutions sans pareil.
La shoah a été un génocide industrialisé. Le goulag et le génocide Khmer rouge comme celui perpétré par Mao sur son propre peuple ont été les résultats d’une idéologie inhumaine au nom du Bien.
Les grandes idéologies du XXe siècle, le siècle des grandes monstruosités ont suivi la mécanisation du monde.
L’angoisse profonde des peuples déracinés de leur propre sol par une globalisation galopante qui leur retire leur savoir, leur maîtrise, leurs attaches provient, elle, de la virtualisation du monde.
Deux forces ont agi en sens contraire : le besoin de partir et le besoin de rester. Le besoin de s’évader, de connaitre l’autre, de savoir, d’apprendre et en face, le besoin d’attache et d’identité, d’avoir une terre sous ses pieds.
La virtualisation du monde nous a précipité dans un pays sans attache si ce n’est celle de la planète.
Et cela s’est opéré à la vitesse d’un quart de génération, sans espoir de retour, sans possibilité de compensation. C’est une révolution qui mange ses enfants comme toutes les révolutions. On l’embrasse ou on meurt.
Cette angoisse, comme toujours, a rencontré les salauds, les a créés peut-être, les a sortis du bois.
Ceux qui veulent le pouvoir, ceux qui sont prêts à réveiller toutes les chimères. Ceux qui abusent de la faiblesse des peuples sidérés. Ceux qui croient à leurs propres fantasmes.
Ils ont mieux appris que d’autres le langage qui parle à l’angoisse : celle des réseaux sociaux.
Ils sont l’incarnation même de ces réseaux sociaux.
Des réseaux sociaux qui eux viennent de l’autre force : celle qui nous fait partir, parler à l’autre, chercher le lointain.
Mais cette virtualisation du lien a également échappé au corps, l’a désincarné pour n’incarner que les émotions. C’est la planète des affects.
Les pays se sont effondrés et les frontières se sont redessinées autour des émotions, des désirs et des craintes, de la furie aussi.
Le discours né des réseau sociaux est celui de l’immédiateté. Il ‘est à l’opposé de la raison, de la rigueur et de la vérité.
Les populistes sont ceux qui ont incarné ce discours, qui ont parlé RS, réseau social, cette langue sans logique et sans surmoi.
L’angoisse a rencontré la saloperie, comme à l’aube du XXe siècle. A l’angoisse de la mécanisation industrielle répond aujourd’hui l’angoisse de la virtualisation.
Et nous avons aujourd’hui la guerre en Europe. L’Europe qui est l’incarnation du raisonnable, du raisonnement, du rationnel. Cette Europe dont Poutine et tous les populistes ne veulent pas parce qu’elle résiste à leur volonté de pouvoir.
L’Europe, l’ennemi des autocraties. L’Europe qu’il faut abattre.
Et nous avons l’extrême-droite qui conchie cette Europe mais surtout veut revenir en arrière, forcer un retour vers les frontières sans comprendre qu’on ne revient jamais en arrière sans une violence extrême. Car revenir en arrière signifie démolir le monde.
Et nous avons l’extrême-gauche qui veut également revenir en arrière, qui veut déconstruire ou rééduquer l’homme, l’homme blanc, le riche, le colonisateur, le juif. Qui veut forcer l’égalité au nom de la justice, forcer la solidarité au nom de la bienveillance et qui n’hésite pas, contre toute cohérence, à soutenir les pires idéologies de notre nouveau siècle, quitte à revenir aux pires désignations du siècle dernier.
Elle vend de nouveau ce monde meilleur où l’homme serait émancipé.
Elle vend de nouveau ce rêve qui a conduit au cauchemar.
Elle y croit tellement qu’elle ne supporte pas le « dire non » du Réel à ses fantasmagories. C’est là où elle est et sera effroyablement dangereuse.
Pour forcer le Réel il faut massacrer les peuples. C’est ce qu’a fait Mao avec la Révolution Culturelle et le Grand Bond en avant.
On ne force par le retour en arrière sans violence. Il faut juste choisir ses victimes. Elles se comptent toujours par milliers.
Les jeunes d’aujourd’hui, aussi romantiques que ceux d’hier, qui croient à ces mensonges ne seront pas épargnés et quand ils subiront eux-mêmes les politiques qui devaient défaire seulement les autres il sera trop tard.
Une angoisse rencontre la saloperie et nous avons ce chaos qui nous attend.
Macron n’y est pour rien.
C’est vrai qu’après avoir repoussé par deux fois l’échéance il l’a aujourd’hui précipitée. Il a craqué et nous craque avec lui. Il gâche notre sursis. Il avait promis d’y résister, il n’a pas réussi, c’est son échec et c’est pour cela qu’aujourd’hui il nous met au pied du mur du Réel.
Il aurait pu nous laisser souffler un moment, un été, après les gilets jaunes, le covid, la réforme des retraites, la guerre en Ukraine, la montée de l’antisémitisme.
Il a pourtant simplement rendu la parole au peuple et on lui en veut. Comme on lui en aurait voulu de ne pas l’avoir fait.
Mais le moment est plus grand que lui, il n’est qu’un pauvre rouage.
Nous aussi. Tout le monde. Nous voulons résister contre l’Histoire, nous y sommes parvenus mais nous n’avons pas répondu à l’angoisse.
Qui en aurait les moyens ?
Dans quel pays cela arrive-t-il ?
L’angoisse ne se tait que quand on lui interdit violemment de s’exprimer, comme en Russie, en Chine, en Iran… et peut-être aux USA ?
Aujourd’hui nous sommes pris en étau entre deux impossibles, deux négations du Réel.
Car si le Réel c’est cette volonté générale de sauter dans le vide, c’est aussi le réel des faits, c’est aussi la vérité du monde.
Les négateurs du Réel s’appellent les extrémistes, ceux qui, disent-ils, veulent transformer le réel.
Mais on ne transforme pas le réel. On transforme le monde.
Et on ne transforme pas le monde sans tenir compte du réel. Sauf à être un monstre.
Les extrémistes ne veulent pas démordre de leur monde impossible. Ils sont prêts à l’imposer par la violence, violence sociale, violence économique, violence morale, violence culturelle, violence sociétale.
A gauche, la saloperie est peut-être encore minoritaire. Mais elle a une grande gueule. Elle parle aux tripes. Dans un monde où les tripes sont ce qui restent quand la raison n’est pas enseignée par les Réseaux Sociaux.
Ceux qui parlent la raison sont sans voix.
Nous sommes pris en étau entre les partis de la déraison et le Parti de la raison. Ce dernier peut être une coalition. La raison et la prise en compte du Réel peut être ce qui cimentera demain à l’assemblée la Droite de LR, le centre de Renaissance et la gauche socialiste et écologiste.
Sinon, les menteurs seront à leur porte et devront agir. Leur déni du Réel les mettra au pied du mur de leur impuissance et leur imposture sera démasquée après la ruine de ceux qui les auront crus.
Les idéologues seront au pied du mur de leurs mensonges et de leur cynisme. Ils passeront avec la violence qu’on connait ou casseront comme en 1983.
Nous avons voté à gauche en 1981. Les promesses étaient mirobolantes. Elles se sont cassées sur le mur du réel. Et le tournant dit de la rigueur a été opéré deux ans plus tard.
A cette époque l’économie française n’avait pas subi les crises qu’on a subies. Elle était bien plus saine qu’aujourd’hui. C’est dire ce qui nous attend. Il n’y avait pas la guerre en Europe, il n’y avait pas les nouvelles forces de l’axe de autocrates.
Le Brexit aussi s’est brisé sur le mur du réel.
Impuissance ou violence, imposture ou dictature voilà ce que nous proposent les négateurs du Réels, les populistes.
Mais le Réel est aussi cette probable volonté des Français d’y aller, quoi qu’il en coûte.
Probable et pas encore certaine.
Votons pour ceux qui tiennent compte du Réel. Qui tiennent compte de l’angoisse et ne sombrent pas dans les mensonges pour y répondre. Peut-être seront-ils assez nombreux pour nous acheter encore du sursis, du temps pour imaginer une réponse crédible à ce désespoir tellurique.