03 mai 2012

La rupture Hollande


En 2007, Nicolas Sarkozy était le candidat de la rupture. Celle d'avec les années de stagnation, d'avec les atermoiements de gauche, d'avec la timidité française d'entrer dans la modernité et la mondialisation. Cette promesse de rupture en a séduit plus d'un, venus de tous horizons.
Cette rupture s'appuyait sur l'idée simple que la France était bloquée par ses tabous. Tabou sur le travail, la réussite, l'argent, tabou sur l'incapacité de regarder en face la réalité de l'immigration, tabou sur les acquis sociaux qui nous empêcheraient d'avancer.
Dès la première année de son quinquennat, le nouveau président a voulu attaquer ces tabous. La fête au Fouquet's, les vacances sur un yacht n'étaient pas une erreur. C'était une démonstration : non l'argent n'est pas sale, non la réussite n'est pas mauvaise. Nicolas Sarkozy a immédiatement voulu décomplexer la société française. Identité nationale, "travailler plus pour gagner plus", il s'attaquait à ce qu'il considérait comme des carcans, des inhibitions. Il voulait bousculer la France.
Il a réussi.
Et la France, apparemment, n'a pas aimé.
Vouloir ainsi bousculer un malade sous prétexte que la guérison l'exige ne fonctionne que si, au bout des cinq ans de traitement, une lueur de bien être apparaît, ou même une lueur d'espoir, ce qui n'est pas le cas. Un million de chômeur en plus, un endettement record, une précarité grandissante... le bilan est négatif.
Alors la crise est passé par là. Admettons. On se souvient du constat de François Fillon arrivé aux affaires : la France était en état de quasi faillite. La crise, donc, n'était pas une surprise. Et finalement on peut se demander si le programme de Nicolas Sarkozy pouvait finir autrement que par ce rejet qui semble massif. Faire la leçon à la France alors qu'elle s'engouffrait dans les difficultés ne pouvait qu'aboutir à cette colère qui s'exprime aujourd'hui.
Passons sur la stratégie de campagne du président sortant. Pathétique, indigne  ou audacieuse, elle semble vouée à l'échec. Elle ressemble à ce qu'il a été : brutal. Il semble finalement que rien ne peut être réparé, rien ne peut être expliqué. Nicolas Sarkozy n'est pas un visionnaire. c'est un idéologue. Et son quinquennat agressif ne pouvait susciter l'indulgence face à l'échec. 
Dimanche je ne voterai pas contre Sarkozy. Malgré sa campagne, je le préfère à d'autres qui auraient pu se présenter contre lui. Non je ne voterai pas contre Sarkozy. Je voterai pour François Hollande.
Je voterai pour François Hollande parce qu'il incarne à mes yeux une rupture, lui aussi. Rupture avec la philosophie du dernier quinquennat mais aussi rupture avec le style de présidence que l'on connaît depuis des décennies, rupture avec le style de relation au peuple.

J'ai rencontré personnellement François Hollande en 2004 alors qu'il était premier secrétaire du Parti Socialiste. Nous avions parlé quelques minutes. Je me souviens qu'après lui avoir serré la main, en m'éloignant, je me suis fait cette étrange réflexion : "Cet homme n'accédera jamais aux plus hautes fonction de l'Etat, il est trop sympathique". J'aurais pu dire: il est trop normal. Il m'avait surpris par cette proximité, cette simplicité, ces qualités qui me semblaient incompatible avec les monstruosité nécessaire aux grands destins, avec cet instinct de guerrier impitoyable propre aux hommes de pouvoir.
J'ai croisé des hommes politiques, j'ai croisé Nicolas Sarkozy, j'ai croisé Chevenement, Lang et Delanoe. J'ai tout de suite vu en eux l'animal politique. Cette façon qu'ils ont de vous parler sans que vous soyez leur interlocuteur. Vous n'êtes pour eux qu'un relais. Cette façon qu'ils ont de ne pas vous voir. Vous n'êtes pas de leur monde. Et malgré les mots que vous échangez avec eux, vous avez l'impression de n'être rien.
Avec François Hollande, c'est le contraire absolu. Vous êtes quelqu'un.
Il a dit au Bourget "j'aime les gens". C'est vrai. Ça n'est pas un slogan.
Alors on me dira que des hommes politiques sympathiques il y en a beaucoup et que tous ceux-là ne peuvent devenir président. Pour la présidence on veut un homme hors du commun. On veut un ogre. 
Là est la rupture. Car pour les qualités de ténacité, de responsabilité, d'autorité, la campagne de François Hollande parle pour lui. Elle a été d'une rectitude, d'une intelligence, d'une force incroyable. Et quoiqu'on pense de ses propositions, nous avons vu cet homme ne faire aucune erreur, tracer son chemin malgré les attaques. Rappelez vous celles de ses camarades. Malgré les remarques méprisantes dont il a été l'objet François Hollande est resté exactement le même qu'au début de sa campagne. Certes la campagne l'a grandi, galvanisé, mais il est resté le même. Ce qui me fait dire que le pouvoir ne le corrompra pas. Et la fonction le grandira encore.
La politique ? Il fera celle que lui autorise la conjoncture que l'on sait mauvaise. Ses marges de manoeuvre sont proches du néant et au bout du compte il fera probablement ce que ferait un Bayrou. Il ne révolutionnera pas la société. Il n'est pas là pour violenter la réalité. Il n'est pas prêt à sacrifier les gens au nom d'une quelconque idéologie. On peut s'en désoler. On peut encore croire qu'on peut forcer le monde à changer contre sa volonté. Pas lui.
Là où Hollande va faire rupture, c'est exactement là où on l'a moqué, méprisé. Il savait ce qu'il disait. Et il l'a dit très tôt : une présidence normale.
Une présidence normale cela signifie la fin de l'indécence, de l'injustice, de l'éloignement. On dit que c'est un oxymore. Non, c'est un équilibre. Car il s'agit ici de tempérer les menaces inhérentes à ce que peut être une personnalité présidentielle : la surdité, la brutalité, le mépris, l'entêtement voire le dogmatisme.
François Hollande ne promet pas grand chose en terme d'objectifs mais il promet beaucoup en terme de rapport au pouvoir et aux gens. La crise nous guette, elle sera dure et demandera des sacrifices. Oui il y a un réel risque que d'ici quelques années notre vie se dégrade. François Hollande est réaliste et pragmatique. Il l'a dit récemment : la gauche n'est appelée au pouvoir que dans les périodes difficiles, quand la droite a failli. On demande au réalisme de gauche de faire accepter aux gens des sacrifices difficiles. Parce qu'elle le fait sans mépris et sans irrespect. On vante l'Allemagne. Qui l'a amené là où elle est ? Un socialiste. Non pas que l'Allemagne soit un modèle. Mais cela confirme la règle. C'est rageant d'ailleurs. Et j'espère que l'élection de François Hollande sera une exception. J'espère qu'il réussira un peu. A quoi donc ? A protéger les français de la tempête dans une atmosphère apaisée. A parler à notre intelligence. A réhabiliter l'image qu'on a de nous même.
C'est son programme. Je n'en demande pas plus.