26 mars 2020

Les populistes au pied du mur


Les populistes sont ceux qui disent ce que le peuple veut entendre.
Quel peuple ? Non pas celui qui s’exprime à intervalles réguliers dans les urnes mais celui qui s’exprimerait, dit-on, à travers « l’opinion publique ».
Hier on avait le café du commerce, aujourd’hui on a quelque chose de bien plus massif : les réseaux sociaux.

Les populistes sont très populaires quand ils sont dans l’opposition car ils se réduisent à ce qu’ils disent. Ils ne sont pas ce qu’ils font, contrairement aux dirigeants.
Le ministère de la parole. On râle, on critique, on invective. Les solutions sont simples.
On accuse. Ça fait du bien.
Le discours populiste c’est l’indécence, la démesure : c’est drôle, ça venge, ça change. Ça « dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas » (parce qu’on sait ce que tout le monde pense).
L’indécence et la démesure, ça fait spectacle. Bien plus que la décence, la mesure, le souci de rendre compte de la complexité des choses. Pas sexy. Pas vendeur. Pas drôle.
C’est pourquoi la parole populiste est plus forte que les autres paroles. Elle est formatée pour les réseaux sociaux. Elle est formatée pour les médias qui ont besoin d’émotion et de tension.
Elle gagne les combats, les débats, la bataille de la communication.
Et elle permet aujourd’hui de prendre le pouvoir.

La parole populiste va trouver aujourd’hui, je le pense et je l’espère, sa limite.
Sa limite, c’est la réalité.
La réalité ne se laisse pas faire, elle est là où on ne l’attend pas, bref : elle ne correspond pas au fantasme.
Au pouvoir, la parole populiste peut faire figure de volonté politique de fer. La réalité nous résiste ? On passe en force ! Ça résiste encore ? On force encore ! Ça résiste trop ? On cède, on râle, on accuse les opposants, on accuse le voisin.

Le populiste au pouvoir parle au peuple du Coronavirus. Il lui dit ce qu’il veut entendre : pas grave, gripette, complot, étrangers…
Encore faut-il que le Coronavirus veuille l’entendre aussi…

Mais l’épidémie de Covid-19 n’est pas un fantasme. L’épidémie est comme le furet pour la parole populiste.
On voudrait bien que sa trajectoire soit simple et pouvoir dire : « C’est simple ! Il suffisait de faire ceci ou cela !»
Mais non, le virus est imprédictible. Seule la science peut essayer de le circonscrite. Et la science, c’est la mesure, la raison, la prudence… Ça n’est pas formaté pour les réseaux sociaux. Ça n’est pas sexy et ça n’est pas drôle.
Pour le populiste : on ne peut pas ne pas savoir ! On ne peut pas observer, suspendre le jugement, s’adapter. Non. L’ignorance n’est pas ce que le peuple veut. Le peuple veut le savoir. Mais encore faut-il l’avoir ce savoir, quand de ce savoir réel dépend le sort du peuple.

Les populistes dans l’opposition ne voudraient pas être au pouvoir. Les populistes au pouvoir s’accrochent à leur parole en priant pour que la réalité ou le virus les entende : la chaleur le fera reculer, le médicament sera trouvé à temps… sauvés par le gong !
Johnson, Trump, Bolsonaro : ils regardent le ciel. Ils ont encore une chance. Mais ils sont quand même au pied du mur.

Le populiste dans l’opposition dit au peuple ce que le peuple voudrait qu’on fasse. Fermer les frontière (comme aux USA tiens, où New York est en passe de devenir un énorme foyer), distribuer des masques et des tests à tout le monde !
Et puis : on va punir, on va leur faire rendre des comptes. Ils sont incapables, fourbes, menteurs. Ça fait du bien c’est sexy.
Le populiste épouse le fantasme. On nous ment, on nous cache les choses.
Le populiste dans l’opposition est bien à l’abris, il peut refuser l’union nationale. Ouf ! Dieu merci il n’a pas été élu.

Le populisme se nourrit du rejet des élites. On se veut tous capable de décider, de savoir, de comprendre. Pourquoi serait-ce réservé à une minorité éclairée et privilégiée ?
On veut des assemblées populaires, on veut du référendum !
Mais quand le pouvoir écoute les oppositions pour savoir s’il faut ou non annuler les élections, quand il décide en tenant compte de leur avis, on lui reproche ensuite de les avoir écoutés ! Ils ne sont pas de vrais décideurs !
On ne veut plus de démocratie participative dans ce cas, non. On veut quelqu’un qui sait, qui sait quoi faire, à l’avance, qui sait mobiliser les moyens, contre notre désir ! Surtout qu’il ne nous écoute pas ! Qu’il envoie l’armée pour nous empêcher de sortir ! Nous sommes trop déraisonnables !
On veut un pouvoir qui ne nous écoute pas. Car on ne sait pas.
Le populiste dans l’opposition ne sait plus très bien où il est. Il est troublé. Il râlote encore un peu mais ça n’est plus son heure.
Car c’est l’heure du réel.

Le populisme accouche aujourd’hui d’autres figures que celles du politique.
La figure du scientifique.
Nous avons un médecin renommé qui dit aujourd’hui ce que les réseaux sociaux veulent entendre ; on a un médicament qui marche depuis le début ! Et ceux qui proposent simplement de prendre le temps de l’évaluer, ceux-là sont contre nous. Ils sont méchants, ils défendent leur pré-carré, ce sont les élites.
Nouvelle créature des réseaux sociaux : le populisme scientifique.
Il se heurtera ou non à la réalité. Car vous savez quoi ? Quelques fois la réalité va dans le sens de notre désir. Il n’y a pas de règle.
Mais les statistiques sont mauvaises. Ça s’appelle même la loi de Murphy.
Le populisme accouchera d’autres créatures à n’en pas douter. Il y a eu les climatologues, les philosophes, les sociologues populistes avant les médecins. Il y aura les physiciens, les ingénieurs, les informaticiens spécialistes de l’intelligence artificielle…
Aujourd’hui nous avons le populisme médical.

La parole populiste nous divertit, nous venge. Elle est indécente et déraisonnable comme nous voudrions l’être. Dans ce monde corseté par le respect mutuel, par le surmoi, par la tolérance. Marre de la tolérance !

Il y a une parole plus indécente, plus déraisonnable, plus agressive, plus radicale, plus intolérante que la parole populiste : La parole du Covid-19.
C’est elle qui maîtrise le débat aujourd’hui, c’est elle qui gagne la bataille. C’est elle qui occupe le champ naguère investi par la parole populiste.
La parole populiste, au pouvoir ou dans l’opposition a trouvé son maître, sa limite.
Après la crise, je l'espère, elle déposera les armes.