21 janvier 2019

Notre Débat




J’entends, au sujet du Grand Débat, toutes les critiques, toutes les réserves, toutes les suspicions, toutes les rancœurs.
J’entends aussi ceux qui ne veulent rien d'autre que la démission d’Emmanuel Macron, ou éventuellement une dissolution, ou un référendum perdu qui aboutirait à la démission ou la dissolution.
Mais combien sont-ils ceux-là, qui ne seraient rassasiés que d'un départ du Président élu il y a dix-huit mois ? 84 000 chaque semaine ? 250 000 comme au plus fort de la mobilisation ? Et combien sont-ils ceux qui refusent cette issue quoi qu’il en coûte, parce que ce serait simplement un déni de démocratie ? J’en fais partie.
Combien sont-ils ? 8 000 000 ? (Les 24% de ceux qui ont voté pour lui au premier tour), 20 000 000 ? (Ceux qui ont voté pour lui au second tour) ? Le tout pondéré par le nombre de déçus ?
Pourquoi remettre son mandat en jeu ? Parce qu’une poignée de radicaux continuent à battre le pavé ? Ceux qui ne veulent pas en démordre, ceux qui ne « céderont pas », ceux qui veulent aller jusqu’au bout. Avec qui et pour faire quoi ? Avec Le Pen ? Pour Mélenchon ? Sont-ils d’accord ?
Ni Le Pen ni Mélenchon n’auraient un centimètre de légitimité s’ils venaient à gagner des élections précipitées par les événements actuels. Il suffirait alors de deux cents mille nouveaux révoltés et du "soutien" de 30% des sondés (c'est à dire 600 personnes) pour qu’on reparte à l’envers.
Tout ça n’a plus de sens. Violences et sondages valent référendum ?
Clémentine Autain qui parle de renverser le gouvernement tout en craignant que les forces de progrès n’en profitent pas... Aucun progrès à remettre en cause le suffrage universel.
Et non, les circonstances ne sont pas exceptionnelles. Nous ne sommes pas en dictature, n’en déplaise à ceux qui ne jurent que par les retournements sémantiques pour justifier leur propre radicalité. Appeler les démocrates des dictateurs, des opposants des terroristes, les juifs des nazis, : autant d’inversions pour commettre des crimes en bonne conscience.

Emmanuel Macron n’a pas à parler à ceux qui ne veulent même plus l’entendre respirer.
Il doit parler à tous les autres. Et leur dire : je sais d’où ça vient.  C’est sérieux. Assez sérieux pour que j’en prenne la mesure.
Et c’est ce qu’il fait.
Oui la mesure. Il faut le dire à ceux qui vont critiquer et qui critiquent déjà ses renoncements. Ce ne sont pas des reculades. C’est prendre la mesure de ce qu’il faut faire en urgence, avant de prendre le temps de penser.
Oui la mesure : le Grand débat, à l’issue duquel toutes les attentes sont justifiées, toutes les craintes et tous les espoirs. C’est à la mesure. Mais pas à la mesure de ceux qui sont encore dans la rue à crier sa démission ou à hurler leur haine des journalistes.
Ce n’est pas à eux que l’on doit s’adresser maintenant. Ils ne seront pas satisfaits. Ils continueront à manifester, violemment probablement, après le Débat, car Macron n’aura pas démissionné.
C’est à tous les autres. Ceux qui ont voté pour lui, ceux qui n’ont pas voté pour lui. A tous ceux qui pensent qu’il faut agir car le mouvement des Gilets Jaunes est l'expression d’un vrai malaise du siècle. Quelque chose qui a à voir avec la révolution numérique, la mondialisation, le libéralisme et la chute du communisme. Quelque chose qui a à voir avec cette nouvelle idéologie religieuse qui nous a frappé. Quelque chose qui a à voir avec la fin des petits commerces, du dimanche chômé, de la fin du sacré et le droit à tout.
Il faut être à la mesure de ça. Ça ne souffre aucun calcul politicien.

C’est quoi ce grand débat ? C’est faire parler tout le monde. C’est noyer les premières revendications, justes ou non, pertinentes ou non, dans une intelligence collective possible.
Et si ça n’est plus possible, alors tant pis.

Je comprends ceux qui ont peur de se découvrir minoritaires. Je comprends ceux qui ont peur de se faire voler l’insurrection. Je comprends aussi ceux qui ne disent rien, pas leur style, pas leur crédo, et qui voulaient juste voter aux dates prévues.
Le grand débat c’est ça : il ne s’agit plus de choisir dans une liste de personnes ou de programmes aussi diversifiée soit-elle. Il s’agir de dire quelque chose. Il s’agit, oui, de noyer ce RIC auquel je ne crois pas dans un éventuel RIC local, qui sait ? Il s’agit de noyer ce retour de l’ISF auquel je ne crois pas dans une fiscalité plus juste, qui sait ? Il s’agit de noyer cette demande contradictoire de moins d’impôt et plus de services publics dans une demande de hiérarchiser voire de choisir les dépenses, qui sait ? Il s’agit de reparler du chômage, qui sait ? Ou le contraire de tout ça, qui sait ?
Et Macron s’en sortirait ? Et alors ? Il aura pris la mesure du problème.
Non le problème n’est peut-être pas le libéralisme, ou pas celui-là, mais peut-être quand même. Et si c’est le problème, il faudra le dire lors des prochaines élections.
Non Macron ne va pas renoncer à ce qui l’a fait élire. Mais ce qui l’a fait élire doit pouvoir s’adapter à un malaise profond qui vient d’être exprimé avec fureur. Ce qui l’a fait élire doit pouvoir s’amender, et même se retourner pourquoi pas ? Car au fond, de quoi s’agit-il ? De faire avancer le pays, de le protéger, de le gouverner, pas de lui appliquer une quelconque idéologie aveugle et sourde. Je rappelle quand même qu’au début il y avait le chômage.
Il n’y a pas de chômage aux Etats-Unis. Mais il y a des travailleurs pauvres. Et avec Trump, ça ne va certainement pas s’arrêter. Il faut débattre de ça aussi. Faire payer les riches ? Lesquels ? Comment ? Combien de temps ? Pourquoi ne pas les virer directement. Ou les emprisonner ? Comment faire ? Est-ce ça la justice fiscale ? Qui sait ? 

Macron fait une pause dans les réformes. Pour écouter.
Il doit se taire maintenant et écouter.
Le Grand Débat sert à ça.
Oui il y a un risque que le Débat se passe mal. Il faut le lui dire. Ne pas attendre de lui que le Débat se passe bien. Il nous donne les outils il faut les prendre. Parler de ce qu'on veut. Nous ne sommes pas à l'école. Les thèmes ne nous sont pas imposés, ils nous sont suggérés. 
La révolution n’aura lieu que dans les urnes. Comme aux USA, comme au Brésil, comme au Royaume Uni. Pour le pire à mon sens. Mais si elle doit avoir lieu elle aura lieu.

Le Grande Débat ne satisfera aucun radical, aucun complotiste, aucun mauvais perdant de la dernière élection, aucun populiste qui croit son heure venue.
Mais il peut satisfaire tous les autres. Parce qu'il dégagera les voies d'un consensus et pourra aussi satisfaire leur sincérité et leur bonne volonté. Sincérité devant la complexité du monde, devant les injustices qui en découlent. Il pourra satisfaire leur refus du fantasme et de la haine et leur esprit républicain, par-delà leurs opinions politiques.
Nous devons participer à ce débat, nous devons refuser de nous le faire voler ou détruire. Nous devons saisir cette occasion pour qu’on ne parle pas à notre place. Ni les professionnels de la politique, ni les cyniques, ni les énervés, ni ceux qui refusent de débattre c'est à dire de faire partie d’un peuple qui se prend en main. Pas une foule, un peuple.




09 janvier 2019

Pourquoi je suis favorable au Grand Débat


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Je suis comme les Gilets Jaunes, je veux que les gens (pas tous) aient plus d’argent et paient moins d’impôts. Comme eux je veux que les services publics fonctionnent et qu’il n’y ait pas de désert social.
Je ne suis pas d’accord avec les Gilets Jaunes sur le RIC. Je ne crois pas à la démocratie directe au niveau national. En revanche je peux y croire au niveau local.
Je ne suis pas d’accord avec eux sur la limitation de vitesse mais j’imagine que cette limitation ne poserait pas de soucis dans d’autres circonstances.
Les sujets sur lesquels je suis d’accord avec les Gilets Jaunes paraissent être des évidences mais ça n’est pas le cas. Plus d’argent et moins de taxes pour ceux qui ne gagnent pas assez peut sembler trivial. En revanche, défense du service public, défense du commerce de proximité et au bout du compte limitation du libéralisme qui tend à éloigner l’homme de ce qui est à sa mesure, ça n’est pas si trivial que ça. Cela nécessite d’imaginer des solutions nouvelles.

Je ne suis pas d’accord avec certains Gilets Jaunes ou ceux qui les soutiennent sur l’idée de sortir la France de l’Europe ou de l’exclure de la mondialisation. Il peut y avoir contradiction entre rester ouvert au monde et empêcher le libéralisme de nous déshumaniser, de nous fragiliser mais c’est justement là qu’il faut inventer et je crois beaucoup au « localisme », c’est-à-dire à l’idée de laisser les espaces se protéger à des niveaux moins grands que celui de la nation.
En gros, je serais enclin à chercher des solutions qui permettraient toute sorte d’expérience au niveau local, protégées par un système par défaut au niveau national. Je suis favorable à une très grande décentralisation.
Ça peut paraître abstrait mais je pense que c’est une piste pour renouveler les solutions de gauche. Je ne crois à aucune solution nationale qui refuse la mondialisation. Nationale de gauche ou de droite, un repli sur soi, c’est la solution populiste. Je n’y crois pas. On verra ou mènent le Brexit s’il est mis en œuvre ou l’expérience italienne mais je pense qu’ils ne mèneront nulle part et qu’on a là affaire à des escroquerie politiques.

Alors à quoi et comment peut servir ce Grand débat ?
Il ne s’agit pas, à mon sens, d’écouter les revendication – déjà posées – des Gilets Jaunes pour y répondre de manière positive sous peine de se retrouver de nouveau sous l’emprise de leur colère. J’estime que le gouvernement y a déjà répondu, même tard, et qu’au bout du compte il a déjà fait du chemin.
Mais pour aller plus loin il faut entendre ce que tout le monde a à dire, pas seulement les Gilets Jaunes.
Le mouvement de GJ a pesé sur le pouvoir essentiellement parce que les sondages disaient qu’il était soutenu par une grande majorité de français.
Cette grande majorité n’est pas descendue dans la rue comme elle a pu le faire en d’autres temps et sur d’autres thèmes. On parle ici de sondages.
Ça n’est pas la violence qui a pesé, non. Ce sont les sondages et la persistance du soutien malgré les violences. 
Emmanuel Macron en a donc déduit qu’il y avait derrière ce mouvement quelque chose qu’il fallait entendre.
Il s’agit maintenant de donner la parole à ceux qui, dans les sondages, soutenaient les Gilets Jaunes et aussi à ceux qui ne les soutiennent pas.
Il y a deux risques dans cette démarche d’écoute : que la parole soit accaparée par ceux qui ont l’habitude de réfléchir sur les questions posées et qui n’apportent de réponses que théoriques.
L’autre risque est que le débat soit squatté par des professionnels de l’agitation, de la provocation, des trolls de tout acabit.
Mais le gouvernement mise sur une certaine intelligence collective. Ça veut dire quoi ? que tout le monde se mette à raisonner et non pas à vociférer. Que les uns et les autres pensent un peu aux uns aux autres.

Il ne peut s’agir ici de remettre en cause le résultat de l’élection présidentielle. On conteste par endroit la victoire de Macron sous prétexte que son adversaire a été plus rejetée que son programme plébiscité. Il n’empêche que c’est bien son programme qui a obtenu une majorité au premier tour. On peut dire que tous les autres programmes ont été plus rejetés que le sien.
Je pense que si on n’est pas content de la politique du Président, les institutions nous permettent d’en changer dans cinq ans. Si une majorité de députés estiment que le président les a trahi ou déçu, ils peuvent imposer un changement de politique en votant la censure et le Président peut proposer de changer de majorité.
Une démission du président sous la pression des événements ou des démagogues c’est simplement la fin de la démocratie. Car derrière cette démission, aucun pouvoir ne sera plus légitime. Nous serons tous conduits à contester toute élection. Le prochain président ne pourra rien faire. Quand on pense qu’aujourd’hui cinquante-cinq mille personnes dont de nombreux casseurs, peuvent mettre une grande pression sur le pouvoir, et même si on pense aux trois cent mille personnes qui manifestaient au départ, qu’est-ce que ça pèse au regard des millions de personnes qui votent ?

S’il s’agit de remettre en cause le programme qu’a proposé Emmanuel Macron un an et demi après son élection, nous courrons le risque que plus rien ne soit possible en France.
Ça peut sembler paradoxal, mais je dirais presque que c’est pour préserver la légitimité des solutions alternatives de demain qu’il faut aujourd’hui respecter la politique du président légitimement élu.

De quoi peut-il s’agir alors ?
Je pense qu’il serait légitime de demander à Macron d’amender son projet afin qu’il tienne compte d’une réalité qui était là avant son élection et qui devient plus prégnante aujourd’hui. C’est ça le mouvement des Gilets Jaunes : une exaspération qui ne peut plus se contenir. Une exaspération qui s’inscrit dans un symptôme mondial. Si on en croit les sondages (il faudra se rappeler du poids qu’ils ont eu dans cette affaire), cette exaspération serait un peu, beaucoup (pas passionnément sinon tout le monde serait dans la rue) partagée.
A quel point ? Ça sera le premier enseignement à attendre de ce grand débat.

Les Gilets Jaunes ne peuvent pas dire : nous sommes la majorité. Non ils ne le sont pas. Ils ne peuvent pas dire : nous sommes le peuple français. Non ils ne le sont pas. La majorité, elle, elle vote, et le peuple français a élu Emmanuel Macron.
Mais surtout, les problèmes et l’exaspération étant exprimés, quelles sont les solutions ?
Ces solutions ne peuvent pas être non plus celles que proposent les ou des ou un ou deux Gilets Jaunes.
On baisse les impôts ? On améliore les services publics ? Comment on fait ça ? On fait payer les riches ?  A quel point ? Est-ce la solution ? Quelles conséquences ? Plus ? Mieux ? A quoi on renonce ? Qu'est-ce qu'on privilégie ?
Donc, que faire ? Qu’est-ce qu’il est possible de faire ?
Y a-t-il d’autres types de solutions ? Qui tiennent compte aussi de l’urgence écologique ?
Deuxième enseignement à attendre de ce débat : les propositions, les solutions imaginées, demandées.

D’abord le constat ensuite les solutions qui feraient une sorte d’unanimité : les gens sont-ils tous d’accord sur le constat et à quel point ? Sont-ils d’accord sur les solutions et à quel point ?
L’idée ici est de donner aux Français la possibilité de dire ce qu’ils pensent sur les différents sujets qui les intéressent. Au lieu de choisir parmi les solutions proposées par des candidats, et donc de devoir choisir le moindre mal, ils vont pouvoir faire leur constat et proposer des ébauches de solution.
C’est une démarche de construction après le mouvement d’exaspération.
C’est aussi une démarche qui va contre ce que le monde nous impose aujourd’hui : simplicité, rapidité, pas de pensée, pas de raisonnement, juste des émotions, des affects. Pas dialogue, juste des insultes. 
Cette démarche est en quelque sorte une démarche de résistance contre un monde de déraison.

Comment le Gouvernement peut-il prendre tout ça en compte ?
J’attends de lui une écoute flottante. Comme celle des psychanalystes. Ne rien prendre au pied de la lettre mais laisser les meilleures idées, les meilleures solutions, et aussi bien entendu les constats les plus aigus émerger.
Quand on fait un film on ne sait jamais vraiment ce qu’on a fait, si c’est bon ou mauvais et de quoi ça parle exactement.
On attend qu’on nous le dise. Mais personne ne peut vraiment nous le dire, chacun parle plus de soi que du film. Le succès ou l’échec commercial ne disent rien car, on le sait, de bons films ne marchent pas et de mauvais films sont des grands succès. Les critiques ne nous disent rien car ils sont payés pour dire des choses, ne sont en général pas sincères, ils se mettent en valeur à travers le film mais ne parlent pas du film. Les amis ne disent pas grand-chose non plus. Ils n’osent pas dire la vérité, ou parfois osent trop et trop brutalement. Ils parlent d’eux. Bref : comment savoir ?
Écoute flottante. A la fin, des thèmes émergent. A travers l’agrégation des opinions quelque chose, une petite musique se fait entendre : trop ennuyeux, trop long, on ne comprend rien, pas intéressant… et on finit par avoir une idée de ce qui va ou ne va pas.
Personne n’a la vérité sur le film mais une certaine vérité se dégage à la fin et à force.

Ce débat peut avoir cette vertu-là. A condition que tout le monde s’y mette en jouant le jeu.
Alors oui, le Président devra entendre. Ce qu’il proposera ne satisfera personne complètement car il aura tenu compte de tout le monde. Mais l’origine du débat on le connait : l’exaspération. La finalité aussi : les retrouvailles nationales.
Je n’attends pas à ce que tout le monde soit d’accord, et que tout le monde veuille la même chose. J’attends du débat que tout le monde s'exprime avec raison et s’estime entendu. 
On peut avoir des surprises. La démarche elle-même peut révéler de nouvelles demandes. Il faut être ouvert à la surprise. C'est aussi ce qu'on attend de ce type de démarche.

Que tout le monde retrouve confiance dans notre système démocratique. Que tout le monde se dise : on vit dans un pays qui vaut le coup. Et si on n’est pas content on attend la prochaine échéance électorale pour le dire.

Je suis donc d’accord pour donner sa chance à ce Grand Débat.  Pas à Macron. A nous tous.

02 janvier 2019

Le Réel et la réalité



Les réseaux sociaux…
Besoin irrépressible d'expression publique. On veut parler, on veut s'exprimer. Et on veut être entendu par les autres.
Est-ce une réponse à la solitude créée par la virtualisation du monde ?
Nous sommes tous penchés sur nos portables. Nous ne regardons plus autour de nous.
Les endroits déserts se désertifient encore plus. Nous n'avons plus l’occasion ni l’opportunité de nous rencontrer physiquement. Les préposés sont remplacés par des machines, les services sont automatisés. Nous n'achetons plus à des marchands mais à des algorithmes.
Le tissu social devient cyber. La société est devenue anonyme.
Nous sommes reclus dans une solitude hors corps.

Nous avons donc besoin de sentir les autres. D’être senti par les autres. Nous avons besoin de dire des choses que les autres entendraient, liraient.
C’est une demande de reconnaissance.
Mais qu’exprime-t-on en premier ? Ce qu’on a envie de crier. Pas le temps de penser. Pas le temps de peser. Juste de crier. Et ce nouveau mode de communication qui permet l’anonymat favorise l’incivilité. On peut parler sans surmoi.
Marre du politiquement correct. Marre de faire des efforts.
Besoin de dire ma haine, ma colère, besoin d’insulter, besoin d’agresser. Besoin de me battre avec les mots. Besoin de sortir de moi. Trop enfermé dans une solitude numérique.
Besoin d’être « liké »
Besoin d’être reconnu, vu, entendu. Ça fait du bien.
Nous sommes tous devenus des petits démagogues parce qu’on a besoin d’amour.
On ne pense pas toujours ce qu’on dit. En d’autres temps on ferait attention, on se relirait. Là non. Trop besoin d’être aimé, de ne pas être seul. On crache ce qu’on veut dire.
Le cri de colère des Gilets Jaunes est parti comme ça. Pas de ça mais comme ça. 
C'est aussi une réaction à la dématérialisation.
Il faut se retrouver physiquement. Il faut se battre physiquement. Il faut bloquer, cogner. Il faut hurler sur l’autre.
Parce que le virtuel nous laisse au bord de la route. Nous n’arriverons pas à le maîtriser.

On veut quelque chose à notre mesure. Le monde numérique n'est pas aux bonnes dimensions. Les "Gafam" ne sont pas des boutiques. Il n'y a personne qui tient le magasin. Tout est surdimensionné. On a affaire à la masse. Pas à des gens.
La masse, la masse de données… grâce à cette masse énorme de clics, et de comportement, la machine nous connait mieux que nous-mêmes. Elle a accès à cette masse qui nous échappe.

On a besoin de concret. On veut des frontières physiques, on veut être protégés, se blottir derrière des murs. 
Le corps reprend ses droits.
Oui c’est une révolte d’arrière-garde. C’est une révolte contre la marche du monde.
Cette révolte est furieuse, brutale, haineuse. Parce qu’on sait bien qu’on n’arrêtera pas ce monde. 
On vote pour des gens qui sont aussi furieux, brutaux, haineux. Ils nous comprennent. Ils parlent notre langue. Ils tweetent comme nous, ils tutoient leurs adversaires comme nous. Ils haïssent comme nous. Les étrangers, les riches, les homos, les femmes. Ils nous singent parce qu'ils veulent notre vote. 

Emmanuel Macron a bien évidemment entendu cette colère, cette révolte. 
10 milliards. On dit c’est trop (pas de financement, s’en est fini de la réforme) on dit c’est trop peu (100 milliards, c'est vrai, ça aurait été mieux)
C’est énorme et trop peu, oui, en regard de la demande.
Car ça tient compte de la réalité. Pas du Réel.

Le Réel c’est l’impossible (Lacan). Ce qui échappe à la structure, à l’algorithme. La chair, le fluide. 
Le Réel c’est le corps (Lacan). Ce qui n’a pas été encarté, fiché, découpé. Ce qui n’est pas entré dans le découpage du langage.
C’est ce qui revient à la même place (Lacan). Ce qui ne bouge pas. Ce qui fait retour. Ce qui ne s’expulse pas. Ce qui n’est pas mis en mot mais revient toujours entre les mots.

Le Réel c’est ce qui se cabre contre le l’ordre, la structure. C’est le reste de chaos quand tout est bien rangé.
Le Réel c’est la guerre quand il faut faire la paix, c’est la violence quand on se maîtrise. C’est le corps qui demande à être de nouveau mis en jeu quant il est surprotégé.

Le Réel c’est : on ne se parle plus. On se frappe.
Maîtriser le Réel. C’est la civilisation, c’est l’Histoire.
Mais le Réel revient toujours.
Il est dans les stades avec la fureur des hooligans et leurs cris racistes. Il est dans la violence médiévale des djihadistes de Daech qui ne veulent pas d’un monde féminin. Il est dans les tueries de masse aux USA. 
Il est aussi dans les cris de fureur et la violence verbales des réseaux sociaux. Il les déborde.
Il est dans la colère des gens qui endossent un gilet jaune pour se reconnaître, un mouvement aussi acéphale que les réseaux sociaux, un mouvement de colère et non un mouvement politique. Un mouvement d’angoisse. Le politiser serait l'ordonner, le dénaturer. Il n'a de force qu'en tant que Réel. Il s'affaiblit dès qu'il devient réalité (politique, ordonnée).  

Le Réel c'est la déflagration.
Et plus nous sommes civilisés, maîtrisés, plus nous sommes subtils, délicats, attentionnés, respectueux, plus le réel veut revenir. Plus il reviendra là où on aura fermé les yeux. Plus le corps hurlera.

Nous érigeons des barrières contre le Réel. Nous créons des structures. Nous inventons des règles. Nous n’y pouvons rien. C’est parce que nous parlons. Le langage fait ça de nous : nous nous devons la paix. Pas la guerre. 
Le Réel existe parce qu’on parle, parce qu’on met de l’ordre dans le chaos. Le réel c’est ce qui pâtit de l'ordre. Ce qui est rejeté comme désordre.
Le Réel se sert de tout ce qu’il trouve, les idéologies qu’il peut, les populistes qu’il a sous la main, les bassesses les plus utiles.
Le Réel révèle les esclaves, les hypocrites, les lâches. Ils voudraient s’en servir pour prendre le pouvoir. 
Le rapprochement rouge-brun c'est ça. Ils se rapprochent déjà. Car ils veulent être les héros du Réel. Ça n'est pas idéologique, c'est purement politique. Ils doivent s'unir pour gagner. Alors ils trouveront un programme commun, une figure commune, incarnation du Réel.
Le Réel les balaiera avec les autres. Il les engloutira eux aussi.

Le Réel il faut en tenir compte. Il ne faut pas le dénier. Il ne faut pas l’oublier.
Emmanuel Macron affronte le Réel qui ne meurt jamais. Il dit à son gouvernement : Il y a la réalité (le déficit entre autres, la nécessité de reformer la France, de réduire le chômage - On l’a oublié celui-là?) et il y a le Réel.
Il ne faut pas jouer l’un contre l’autre.
Il as été élu pour travailler la réalité.
Il doit maintenant tenir compte du Réel. 

Alors oui il fallait que ça crie pour qu'il en tienne compte. Ceux qui n'en ont pas tenu compte ont été balayés par des démagogues qui ne dureront pas. Cameron balayé par les partisans du Brexit, Clinton par Trump, l'Italie, le Brésil.
Ils ne dureront pas parce que le Réel ne peut gouverner. 
Pour gouverner il faut la raison. C'est la réalité qui gouverne.
Le Réel, lui, il gueule, il déchire, il tue. Il déborde. Il jouit.
Le Réel c'est comme l'océan, on ne lui tourne pas le dos.
Les vœux du Président Macron, c’est ça :
Modifier la réalité sans oublier le Réel.
Répondre au Réel sans nier la réalité.
Le défi d'aujourd'hui.