Changer la société, c’était le crédo de la gauche française
il y a 30 ans. Changer de société en France. Après Maastricht, le changement de
société n’était plus possible si ce n’est en passant par l’Europe. Le combat ne
pouvait plus se faire à l’échelle d’un pays. On ne pouvait plus changer tout
seul. La mondialisation a détruit les dernières illusions. Ce n’est plus
l’Europe qu’il faudrait convaincre mais les Etats-Unis, la Chine et tous les
pays émergents. L’espoir de changement est devenu une vraie utopie.
La crise européenne actuelle parachève le mouvement. Non
seulement il ne s’agit pas de changer mais il s’agit au contraire d’aller plus
avant dans ce qui était combattu : la domination de l’économie sur la
politique, la soumission aux marchés, l’abandon de souveraineté qui interdit
toute remise en cause des structures sociales et économiques.
En 1989 le monde choisissait définitivement l’économie de
marché, aujourd’hui il doit en assumer toutes les conséquences, sous peine de
chaos.
Oui aujourd’hui c’est le chaos et son cortège de souffrances
qui nous attend si nous n’adoptons pas les dispositifs inscrits en gésine dans
le traité de Maastricht. Bref, l’espoir de changer de société est bien mort.
Ceux qui voudraient le dénier nous entraineraient avec leurs illusions ou leurs
mensonges dans la tourmente.
La primaire socialiste a d’une certaine manière validé cette
mort de la gauche d’il y a trente ans. Et si François Hollande l’a emporté sur
Martine Aubry c’est bien que le déni n’est plus tout à fait de mise.
En fait depuis quelques années, la gauche était devenue une
gauche de résistance. Freiner l’inéluctable, s’opposer à tout ce mouvement,
revenir sur ce qui avait été fait. La gauche avait pris acte de son incapacité
à inventer une alternative. Elle pouvait au moins ralentir le processus. C’est
pourquoi elle apparaissait comme réactionnaire.
La gauche de résistance est morte également, avec la crise
de la dette. On lui dit maintenant qu’on ne peut plus freiner, hésiter, revenir
en arrière. La gauche ne voulait pas prendre ce bateau. Elle voulait le faire
revenir au port. Maintenant, en pleine mer, le bateau prend l’eau. On a le
choix entre le colmater puis le renforcer ou rentrer à la nage.
Dans cette situation, faut-il persévérer dans le déni, coûte
que coûte, ou céder à la désespérance ? Faut-il paniquer, ou au contraire
saisir l’occasion qui nous est donnée de bâtir à travers l’Europe quelque chose
de nouveau ?
Lors des moments de crise comme celle que l’on connaît, le
combat idéologique n’a pas vraiment de sens. On a d’un côté les partisans du
chaos, ceux qui pensent pouvoir profiter de l’effondrement pour construire leur
cathédrale improbable, et de l’autre côté ceux qui, loin des idéologies,
proposent des solutions pour éviter le naufrage.
Pourtant ce sont bien les crises qui induisent les
changements de structure. Et ce sont les hommes – et non les idéologies - qui peuvent guider les peuples dans ces
changements angoissant où les repères s’effondrent.
Hors des crises les idéologues prennent la parole et parfois
le pouvoir. Ils inventent des trucs comme les trente-cinq heures ou le bouclier
fiscal. Des trucs qui correspondent à leur vision fantasmée de la réalité.
Sarkozy a été un idéologue, ce qui l’a empêché d’être un
visionnaire. C’est son idéologie qui a creusé la dette au moment où déjà
certains anticipaient la catastrophe actuelle. Il reste manifestement un
idéologue. Aucune de ses interventions n’échappe à la mesquinerie du combat
politicien. Son discours de Toulon 2 en atteste. Là où on attendait un homme d’Etat
responsable, on a eu un candidat englué dans l’agressivité.
François Hollande est-il un idéologue, un politicien ?
Les derniers soubresauts de sa campagne semblent dire le contraire. Il a su se
dégager de l’emprise idéologique des écologistes et peu à peu il se dégage
courageusement de celle de ses amis socialistes. Son principe de « donner
du sens à la rigueur » est ce qu’il y a eu de plus sensé et de plus juste
à dire sur le sujet. Mais ce n’est pas suffisant.
La situation exige aujourd’hui l’émergence de bâtisseurs.
Ceux qui sont capable de nous guider, de nous offrir la perspective d’une
nouvelle édification européenne qui prendrait acte de ses faiblesses et oserait
surmonter la perte des repères. Nous ne pouvons plus changer la société mais
aujourd’hui nous allons devoir changer de monde. Seuls des bâtisseurs peuvent
nous en convaincre et nous accompagner. Nicolas Sarkozy n’est pas un tel
bâtisseur. Si le couple franco-allemand est tant à la peine. Si le dialogue
entre Sarkozy et Merkel est si laborieux, si difficile. Si nous courons
toujours derrière la crise, à bout de souffle, c’est parce qu’ils ne sont pas à
la hauteur. Ce sont les dirigeants d’un monde stable et non ceux d’un monde qui
bascule.
François Hollande, s’il n’est pas un idéologue, pourrait-il
être un bâtisseur? C’est l’enjeu tout récent mais majeur de la prochaine
élection présidentielle.
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