Le terrorisme a trois objectifs : sidérer une société,
contraindre une démocratie, imposer sa plainte et son existence.
La sidération d’une société passe par l’analyse de ses
tabous les plus profonds. L’action terroriste, d’une certaine manière, révèle,
en les attaquant, les tabous qui cimentent un peuple. A quoi servirait-il de
tuer des enfants dans un pays qui, par exemple, les mettraient déjà en
esclavage ?
Le terrorisme nous révèle donc les tabous qui nous agissent,
nos intouchables fondamentaux : l’innocence, l’enfance, le corps, la vie.
A chaque époque ses tabous. A chaque époque son terrorisme.
Nous sommes attachés à la notion d’innocence ? Tuons
des innocents. Nous chérissons plus que tout nos enfants, les innocents par
excellence ? Tuons les enfants. Nous tenons à l’intégrité de notre
corps ? Explosons les corps, déchiquetons les, découpons les. La
préservation de la vie est une de nos valeurs les plus importantes ? Nous
cherchons à la prolonger, la protéger, l’améliorer ? Suicidons, montrons
que la vie n’est rien.
Le terrorisme est donc l’ennemi absolu d’une société, il attaque
ce qui fait son fondement en cherchant
ainsi à la sidérer.
Nous restons sans voix devant ce que le terroriste de
Toulouse a fait. Notre sidération a été sa première jouissance.
Le terrorisme a des buts politiques. Il veut obtenir des
résultats : libérer des prisonniers, évacuer des territoires, etc. Pour
cela il terrorise la population en la sidérant (comment terroriser un
dictateur ?) afin qu’elle fasse pression sur ses dirigeants, marquer
l’opinion publique afin que ses représentants en tiennent compte.
Le terroriste veut soumettre la démocratie. Il veut pouvoir
s’enorgueillir de l’avoir influencée. Lui, tout seul, avec ses armes et sa
barbarie personnelle.
Que les sondages relatifs à l’élection présidentielle soient
substantiellement modifiés, que les débats soient influencés, et le terroriste
de Toulouse pourra dire « mission accomplie ». La France est à ses
genoux. La démocratie est à ses pieds.
Entendre Coppé, le porte-flingue de Sarkozy, pitbuller
l’opposition, voir Sarkozy, le visage grave et les trémolos dans la voix, se
retenir, surtout se retenir ! d’exprimer une quelconque satisfaction de
trouver enfin ici l’événement qui lui manquait pour faire oublier son bilan, bref,
influer sur le processus démocratique engagé aujourd’hui en France a été la
seconde jouissance du terroriste de Toulouse, avec l’assentiment de tous ceux
qui en ont bénéficié.
La langue de bois hurlera le contraire. Qui en sera
dupe ?
La troisième jouissance du terroriste est la pire à mes
yeux.
La jouissance de la sidération, on ne peut rien y faire.
Toute société se fonde sur ses interdits. Il est donc de l’essence d’une
société d’être susceptibles d’être choquée, sidérée, terrorisée.
La jouissance de soumettre une démocratie n’est pas toujours
acquise. Si les dirigeants sont assez nobles, assez dignes, bref, si ce sont de
vrais hommes d’Etat, le terroriste a peu de chance de les influencer. Il faut
du courage et de la force de caractère, ce qui n’est pas le cas du président
sortant. Mais on peut imaginer que le respect de la démocratie et de la
République l’emporte chez d’autres.
Les trente heures accordées au terroriste de Toulouse n’ont
pas eu pour but de le prendre vivant ou de permettre à ce que la société
connaisse la vérité sur ses actes. C’est ridicule. On sait quelle tribune offre
un procès à des fous comme ça. Il faut se rappeler le procès de Carlos, ou même
d’un criminel comme celui du gang des barbares.
Non pas que ce type n’ait pas droit à un procès, mais le
fait d’avoir tant attendu pour l’arrêter a coûté cher au regard des bénéfices
espérés.
Car que s’est-il passé pendant ces trente heures qui ont été
finalement trente heures de jouissance du terroriste ? Trente heure de
spectacle, mis en scène par le pouvoir et le pouvoir seul.
Résultat : Le terroriste est devenu un proche. On
connait son nom et son prénom, on l’a suivi pendant tout ce temps. Il est mort
« les armes à la main », il a sidéré le RAID, bref…
Trente heures pour en faire un héros, qu’on le veuille ou
non, pour en faire le personnage principal incarné d’un feuilleton.
Que ne connaît-on aussi bien les enfants qui sont tombés
sous ses balles…
La troisième jouissance du terroriste est celle d’exister,
exister mieux et plus que les autres, mieux et plus que ses victimes ou que les
gens qu’il sidère. Et là, les complices sont évidents : les médias et le
pouvoir.
Les médias l’ont fait exister car dans un spectacle, celui
qu’on « adore haïr », c’est le méchant. Quand le méchant existe, le
spectacle est bon. Les médias sont consubstantiels à cette jouissance du
terroriste. Ils n’ont aucune morale et aucune réflexion éthique. Nous vivons de
ce point de vue dans un monde bien crade.
Mais qu’on ne vienne pas me dire que le pouvoir fragilisé
dans la campagne électorale, n’a pas fait le calcul de ce temps de
médiatisation justement pour se mettre en scène lui-même et dramatiser le
spectacle au maximum.
Le « gentil » n’est jamais aussi bien servi que
par un bon méchant. Aucun bon film, aucune bonne histoire si le méchant n’est
pas à la hauteur. Et ça sert aussi bien le vrai héros de l’histoire.
Le pouvoir avait besoin de temps pour bien imprimer son
action. Tuer le terroriste trop vite aurait été trop expéditif, donc sans
bénéfice, médiatiquement parlant.
Cette jouissance d’exister, d’imposer sa plainte, et somme
toute son humanité – car, nom et prénom à l’appui, historique personnel, anecdotes
et même photographies souriantes ! sont bien les signes de l’humanité dans
nos livres d’images – cette jouissance n’a été permise et autorisée que par les
médias qui ne savent plus depuis longtemps comment se comporter, et aussi par
le pouvoir qui a tellement peur de perdre !
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