Nous vivons déjà dans le monde d’après.
Nous vivons dans un monde rendu ingouvernable. Du moins avec les outils d’avant.
L’aliénation aux réseaux sociaux s’est révélée encore plus étendue avec la crise du Covid.
Elle s’est étendue du politique au sanitaire, de l’économique à la gestion de crise.
Cette aliénation indique une direction que prennent nos sociétés.
Les réseaux sociaux nous mènent vers le régime autoritaire dont ils désirent et appellent sans le savoir l’avènement.
Nos politiques ne peuvent plus ignorer les réseaux sociaux. Ils sont leurs esclaves. Ils leur doivent allégeance.
Nous vivons dans un monde gouverné par une entité acéphale et primitive, déraisonnable, émotionnelle.
Les réseaux sociaux : la somme des réactions à chaud. Nous intervenons tous selon nos émotions. Nous avons envie de nous exprimer alors, sans attendre, sans analyser, sans chercher, sans débattre, nous nous exprimons.
Cela crée des millions de messages, de paroles désinformées, ignorantes et gonflées d’émotion essentiellement négatives, c’est-à-dire de colère et de méchanceté.
Mais c’est massif.
Ces millions de messages sont l’expression d’une subjectivité. Non pas celle d’un individu, mais celle d’une masse dont on ignorerait les différences qui la constituent. Ne reste que ce qui fait colle : le plus primitif, le plus perméable aux rumeurs, aux mouvements psychologiques, le plus perméable aussi aux médias, aux news, et aux fake news.
Ça produit des événements. Ça jette des gens dans la rue. Ça s’incarne physiquement, non par un individu mais par une masse.
Des rassemblements sont organisés, avec des mots d’ordre faciles comme des slogans publicitaires qui flattent ceux qui les scandent, les déculpabilisent, nettoient leur conscience et surtout, de nouveau, font colle, font groupe, c'est douillet, c'est réconfortant. Font armure aussi.
C’est incontournable, inévitable. On ne peut l’ignorer.
Les médias non seulement ne les ignorent pas mais les réseaux sociaux sont aujourd’hui la réalité alternative à laquelle ils ont affaire. Ils traitent du monde, vont encore chercher les faits dans le monde, mais de plus en plus, et probablement majoritairement, traitent des faits relayés ou générés par les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux fournissent aujourd’hui aux médias la réalité dont il faut rendre compte.
Les politiques prennent le relais. Auparavant aliénés aux médias, passant par eux pour écouter le monde, passant par eux pour lui parler, ils écoutent maintenant les réseaux sociaux et leur parlent, parlent leur langage, adoptent leur logique.
Ils adoptent leur style, leur rythme, leur ignorance, leur légèreté, leur déni du réel.
Le discours des politiques se synchronise avec celui des réseaux sociaux, dans le fond et dans la forme.
Les réseaux sociaux font discours, ils émettent une parole, que personne ne tient mais que tout le monde écoute et à laquelle tout le monde réagit.
Cette parole est le dernier avatar du discours du capitaliste où tout doit faire droit. C’est le règne de l’avoir contre celui de l’être. Tout est bien à posséder. Tous les droits sont des biens.
Tout fait droit : celui d’être célèbre, celui d’être vu et entendu, celui de s’exprimer publiquement. Et maintenant : celui de faire autorité. Tout le monde a droit, à travers les réseaux sociaux, de faire autorité.
Dans un monde ou tout fait droit s’élève donc cette voix sans conscience ni raison qui aliène tout le monde, impose son rythme à la société.
Et rend la société ingouvernable.
Tenir la barre dans cette mer d’opinions qui s’impose comme la seule réalité à considérer (plus que les chiffres de l'épidémie, plus que la raison nécessaire aux études scientifiques), est impossible.
Il faut gouverner à un rythme intenable, qui interdit la réflexion et la décision.
Aucune décision ne sera à l’abris d’un tsunami de colère relayée par les réseaux sociaux. Aucune hésitation ne sera à l’abris de millions de reproches.
Dans ces conditions, gérer une crise où il faut parfois décider vite et parfois prendre le temps de comprendre est devenu impossible. Décider vite donc se faire massacrer par les réseaux sociaux quoi qu’il arrive : ils seront toujours plus rapides. Prendre le temps de comprendre et subir la pression de cette subjectivité acéphale aux dimensions de la conscience collective.
Dans toutes les démocraties, le défi est le même. Les démocraties ont enfanté ce qui semblait être l’avatar ultime du droit de s’exprimer et aujourd’hui leurs dirigeants doivent gérer et gouverner sous la pression de ce nouveau sujet qui refuse à peu près tout et ne sera jamais satisfait.
Les populistes essaient de l’apprivoiser, de parler sa langue faite de fantasmes, d’ignorance et de désir de complots. Ils parlent vite, fort, simple, ils mentent, simplifient, se contredisent sans aucune conséquence. Et parviennent parfois à être élus.
Une fois au pouvoir ils essaient de continuer à confondre la réalité avec celle des réseaux sociaux. Ça peut marcher jusqu’à une crise du réel comme celle que nous avons vécue.
Là, à force de déni et de mensonges, comme les réseaux sociaux eux-mêmes, on peut encore gérer les fautes et les mensonges d’avant, mais ça ne marche pas toujours. Bolsonaro tue le peuple brésilien. Le réel est venu gifler la gouvernance populiste.
Le problème ne se pose pas dans les régimes autoritaires, Chine, Russie, Iran entre autres. Il suffit de museler voire d’interdire les réseaux sociaux et de leur en substituer d’autres, plus surveillés, plus limités.
Ceux-là n’ont aucun problème de gouvernance. Et ils nous regardent avec un petit sourire : elles sont belles vos démocraties ingouvernables.
Ceux-là sont "efficaces".
Ceux-là sont "efficaces".
Chez eux, tout ne fait pas droit. La parole est le droit du leader. L'autre parole n'a droit qu'à rester secrète dans l'intimité d'une conscience individuelle, comme une prière.
la parole est muselée et la parole collective limitée, ignorée.
Là on peut du jour au lendemain confiner plusieurs millions de personnes, sans demander la permission aux réseau sociaux, sans essayer de les préparer, de leur expliquer.
Oui les réseaux sociaux rendent les démocraties ingouvernables car c'est le vote permanent. Ils révoquent et élisent à chaque minute. Il n'y a plus le temps du choix des représentants puis le temps de la gouvernance. Tout est mêlé et il n'y a plus aucune légitimité.
Les réseaux sociaux sont la contestation même de la légitimité d'un pouvoir démocratique.
Les réseaux sociaux sont la contestation même de la légitimité d'un pouvoir démocratique.
Il faudrait pouvoir les ignorer. Mais les ignorer serait aussi ignorer les médias qui leur sont aliénés, les opposants politiques qui parlent leur langue.
Donc impossible.
Nos gouvernants ont peur, ça se voit, et leur gestion de crise suinte cette peur dans toutes leurs décisions.
Confinement trop tardif, mensonge sur les masques parce qu’ils ne croient pas à la maturité collective (et d’ailleurs, en France, ils ont probablement raison d’en douter).
L'ouverture des écoles est un bon exemple : décision légitime d'ouvrir les écoles. Mais refus de enseignants, refus des parents d'élèves, alors on fait machine arrière et on élabore des règles ultra contraignantes. Alors que la première décision était la bonne.
Même chose pour le premier tour des élections municipales.
La peur.
La peur se voient dans leurs yeux et s’entend dans leurs discours. Elle s'entend dans le ton contrit du President.
Confinement trop tardif, mensonge sur les masques parce qu’ils ne croient pas à la maturité collective (et d’ailleurs, en France, ils ont probablement raison d’en douter).
L'ouverture des écoles est un bon exemple : décision légitime d'ouvrir les écoles. Mais refus de enseignants, refus des parents d'élèves, alors on fait machine arrière et on élabore des règles ultra contraignantes. Alors que la première décision était la bonne.
Même chose pour le premier tour des élections municipales.
La peur.
La peur se voient dans leurs yeux et s’entend dans leurs discours. Elle s'entend dans le ton contrit du President.
En rendant ingouvernables les régimes démocratiques les réseaux sociaux aspirent en fait à un régime autoritaire. C’est leur désir le plus secret et le plus puissant. Ils demandent un maître qui les fera taire. Car ils voudraient être gouvernés. Gouvernés par un "vrai" maître. Cette remise en cause permanente du pouvoir est une demande, celui du vrai pouvoir.
La parole issue de la cacophonie veut l'autorité qui l'écraserait enfin.
C’est ce qui va venir.
C’est le monde d’après.
Car le monde d’aujourd’hui n’a pas encore pris la mesure de son aliénation et ne sait pas comment résister à un élan que probablement personne ne souhaite.
Sauf le maître à venir et ses affidés.
Sauf les régimes autoritaires qui cherchent à imposer la loi du plus fort car ils se croient plus forts.
Sauf les imbéciles qui pensent pouvoir s'en sortir et dompter la bête.
La résistance passera par une éthique de notre parole et de nos discours.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerUne fois de plus, je suis entièrement d'accord.
RépondreSupprimerMais une fois le constat posé, on fait comment ?
Cela faisait un petit bout de temps que je n'étais pas venu faire un tour sur votre blog : on voit le cheminement de la pensée tout au long du confinement, mais avec cette distanciation qui vous honore.
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse, ça fait du bien de vous lire, on se sent moins seul.
Le fait qu'elle soit sur un blog la protège un peu des excités de tout poil...
Quelque part le Bureau des Légendes est un peu le reflet de votre pensée, et c'est pour cela que j'aime cette série : c'est touffu est ça fait fonctionner les neurones ...
Une petite, remarque à propos de vos Geeks :
Cela fait 40 ans que je programme dans des codages différents : les mecs qui trouvent une faille dans 30 000 lignes de code qu'ils n'ont pas écrit ça n'existe pas (ou alors je suis vraiment trop vieux pour ces conneries comme dirait l'agent MURTAUGH)
Au plaisir de vous lire
Hervé
Remarquable texte que je découvre aujourd'hui !
RépondreSupprimerLe déni du réel partout, l'émotion en maitre de pensée. Parfois il m'arrive de rapporter dans des conversations un article scientifique (souvent sur l'énergie et le climat qui sont mes préoccupations), je fais des constats qui m'amènent à imaginer des perspectives d'avenir pas vraiment enthousiasmantes, des contraintes nouvelles auxquelles nous allons devoir nous plier. C'est à ce moment que je sens une incompréhension, un désintérêt (le déni ?), chez la plupart de mes interlocuteurs. beaucoup sont dans leurs imaginaires, leur utopies, leurs peurs, leurs colères. Peu de personnes se servent du réel comme boussole pour comprendre le monde et se préparer à celui de demain.
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