C’est ce qui se passe.
La France scie la branche sur laquelle elle est assise.
Nous avons un gouvernement qui a dû gérer une pénurie, qui ne l’a pas dit, qui a cru bon de mentir, qui s‘est battu et se bat encore contre les événements, l’incertitude, et gère deux crises monstrueuses, sanitaire et économique.
Nous avons une opposition qui croit ne se définir que de la critique, de l’injonction, qui ne fait rien pour nous aider, qui perd son sang-froid, qui panique et qui ne sert à rien.
Nous avons une communauté scientifique qui découvre le vedettariat et comme tout nouveau venu dans ce domaine perd parfois ses repères, pour ne pas dire son latin.
Nous avons eu un épisode de populisme médical qui nous a fait du mal, à nous, aux politiques et aux médecins. Heureusement de ce côté-là, le réel est en train de trancher et de ramener tout le monde à la raison.
Nous avons des médias qui croient ne se définir que d’être un contre-pouvoir dans une période où le pouvoir est entièrement dévoué à nous sauver (oui et maintenant sauver l’économie c’est nous sauver)
Nous avons des réseaux sociaux qui continuent comme si de rien n’était, comme si rien n’avait changé depuis un an, comme si la rage devait toujours être convoquée contre son prochain même s’il est menacé de mort.
Nous avons des trolls qui continuent de nous élever les uns contre les autres, cherchent à nous déstabiliser en injectant du doute et de la haine entre nous, pour mieux laisser leurs commanditaires ramasser les morceaux ensuite.
Nous avons une Europe qui essaie mais n’y parvient pas, avec une Allemagne tellement supérieure qu’elle se demande si son salut ne serait pas ailleurs. Elle sait que non. Elle sait qu’elle coulerait avec nous. Mais elle ne peut s’empêcher de nous en vouloir, nous les gens plus au sud.
Et pourtant, nous faisons tous la même chose, les politiques sont peu ou prou les mêmes, les courbes sont les mêmes, les méthodes les mêmes, les résultats certes meilleurs ici et pires là, mais il est encore trop tôt pour savoir vraiment, l’arrêt sur image ne vaut pas le film.
Mais notre caractéristique à nous c’est de ne pas dire qu’on aide (car dans les faits on aide), ne pas dire qu’on espère, ne pas dire qu’on apprécie, c’est dire qu’on en veut, qu’on déteste et qu’on se vengera.
« On fera les comptes… »
Oui le pouvoir a failli. Moins dans les actes que dans le discours. Mais le discours fait acte. Car les deux grands mensonges qu’on lui reproche à juste titre ont sapé la confiance et ça, c’est une réalité qui pèse sur nous. Nous ne sommes plus derrière lui comme il aurait fallu, nous ne voulons pas « jouer le jeu » alors qu’il serait vital de le faire. Les mensonges du pouvoir nous ont jetés dans un doute suicidaire. Le premier mensonge sur les masques (ne pas dire ouvertement la pénurie et nous faire croire qu’il ne servait à rien d’en porter) n’a pas servi de leçon. Aussitôt avoué qu’en émergeait un autre : le mensonge sur les tests. Nous n’en avions pas, pas assez, nous n’avons pas su en fabriquer, pas assez tôt. Pourquoi ne pas le dire au lieu de nous dire d'abord qu'il y en aurait suffisamment puis ensuite qu'il ne servait à rien que ce soit massif ?
Les parents ne veulent jamais avouer leurs faiblesses à leurs enfants, ne pas leur dire qu’ils fument, qu’ils mentent, qu’ils ne savent pas, qu’ils ont peur eux-aussi.
Nous ne sommes pas des enfants.
Et de nous avoir pris pour tels le pouvoir a failli et peut-être ne s’en remettra-t-il pas.
Il faut dire qu’on ne l’a pas aidé. La crise des gilets jaunes, les grèves contre les retraites, autant de preuves que nous ne sommes pas adultes. Nous voulons tout casser.
Non, nous ne les avons pas aidés. Certains avalent de la chloroquine en prévention ! Certains hommes politiques ont supplié d’en faire un traitement national ! Il faudra se souvenir de leur sang-froid à ceux-là.
L’opposition n’en a aucun de sang-froid. Seuls ceux qui se taisent aujourd’hui (Baroin ? Hollande ?) semblent avoir compris que c’était la seule façon de faire preuve de responsabilité. Non, il faudrait aider, participer, proposer des solutions non pas contre mais avec le pouvoir ! Ça, c’est de la responsabilité. Les mutiques se préparent pour 2022.
Les autres tempêtent, critiquent, réagissent à des événements qui n’ont pas encore eu lieu. Ils s’opposent, les braves, ils ne pensent et ne se réduisent qu’à ça, s’opposer.
Quand ils seront au pouvoir ils s’opposeront encore et probablement ne supporteront pas qu’on s’oppose à eux, crieront encore au scandale.
Ils sont calculateurs, démagogues, ne font rien pour nous sortir de la crise, ne nous servent à rien. L’opposition française est aujourd'hui notre double peine.
Les médias boursoufflent leur rôle de contre-pouvoir. France-Info à l’avant-poste. Derrière elle, les chaînes d’information en continu. On pourrait penser que tel le scorpion qui pique la grenouille, ils n’y peuvent rien : c’est leur nature.
Le bashing habituel est tout simplement contre-productif aujourd’hui. La branche vacille.
Quelle vanité !
Le vrai contre-pouvoir des médias n’est pas la critique, c’est l’information. C’est la présentation du réel contre l’idéologie ou la raison d’État. C’est la présentation du monde tel qu’il est.
Heureusement dans le fourmillement incessant des news, il y a encore moyen de choisir le sérieux et le fiable. Mais quelle énergie ! Quel combat quotidien pour échapper à la médiocrité et à la malhonnêteté !
Les médias ne nous aident pas, c’est nous qui aidons les médias en faisant notre choix et notre opinion par nous-mêmes. Ça nous épuise.
Le gouvernement peut parfois prendre de mauvaises décisions mais jusqu’à maintenant il n’a eu surtout qu’un mauvais discours.
A l’opposition nous ne devons rien. Ni notre salut, ni nos espoirs.
Les médias publics nous abreuvent de commentaires et nous désespèrent. Nous avons nos opinions, nous n’avons pas besoin des leurs.
Les réseaux sociaux nous aident à tenir. Nous nous envoyons des messages, nous nous voyons malgré notre enfermement, nous nous écoutons mais la somme des interventions anonymes ou protégées par le nombre continue d’être l’expression d’une agressivité qui nous esquinte.
Nous ne sommes pas idiots. Nous savons qu’il faut en sortir. Nous savons que la crise économique va nous abimer encore plus que la crise sanitaire. Nous savons que nous avons fait ce choix pour préserver surtout la vie de nos parents. Car qu’est-ce que serait notre vie si nous avions fait un autre choix ?
Nous savons que nous n’avons pas d'autre choix que de changer de vie. Nous pouvons râler, critiquer, nous opposer : nous n’avons d’autre choix que de sortir prudemment. Quelle que soit la date exacte, le nombre d’enfants par classe, de voyageurs par rame, de clients par magasin, nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter notre destin en le faisant nôtre comme pour le confinement.
Nous avons envie d’exprimer notre angoisse, de la transformer en colère. Après tout nous ne sommes pas en charge. Mais les politiques qui sont en charge ou qui aspirent à l’être ? Les députés, les sénateurs, ont-ils ce droit-là ? Les avons-nous élus pour ça ?
Les avons-nous élus pour scier la branche sur laquelle nous sommes assis ?
« Nous ferons les comptes ». La phrase à la mode.
Certains les font déjà
Eh bien nous les ferons.
Nous évaluerons le Président et le gouvernement à l’aune de ce qu’ont fait les autres, des résultats des autres, de la planète entière. Et nous dirons : L’Allemagne a fait mieux ? Mieux contre la crise sanitaire et mieux probablement contre la crise économique. Et nous chercherons le parti politique qui propose de prendre l’Allemagne comme modèle. Nous deviendrons fédéralistes et partisans de la rigueur budgétaire ?
Nous évaluerons les idéologies face à cette crise. Nous évaluerons la responsabilité de cette gauche qui n’a pas réussi à convaincre les électeurs de la pertinence de sa vision. Pourquoi n’est-elle pas au pouvoir ? Nous évaluerons la responsabilité de l’extrême gauche sur son incapacité éternelle à convaincre plus qu’un tout petit nombre, elle qui veut pourtant le bonheur de tous. N’est-elle pas responsable de sa propre impuissance ? Nous évaluerons la responsabilité de cette droite qui crie au meurtre et qui prône la chloroquine et de cette autre qui a demandé que soient maintenues les élections municipales, nous évaluerons la responsabilité de l’extrême droite qui a proposé comme seule solution la fermeture des frontières, comme les États-Unis l’ont fait avec les résultats que l’on sait.
Tous ceux-là, nous ont-ils aidés ?
Au niveau local, au niveau des mairies, on veut bien le croire. Redevenus bêtement humains en charge des affaires ils ont dû batailler eux-aussi. Mais politiques, ils nous ont juste infligé une double punition.
Alors oui nous ferons les comptes à la fin. Qui a scié la branche ? Qui a tout fait pour qu’elle ne tombe pas ?
Et nous nous poserons la question à nous-mêmes.
Nous qui ne sommes pas des enfants.