23 mars 2023

A deux pas du Réel

 C’est la dérive d’une société.

Sous les coups de boutoir d’un nouveau discours, celui des réseaux sociaux, donc de la meute, qui aliène la logique médiatique et le discours politique, qui nous contraint tous à nous déterminer sur des sujets que nous ne choisissons pas, dans des termes qui ne nous satisfont pas, qui fait émerger de nouvelles figures qui lui ressemblent, celles des grandes gueules, des populistes, des démagogues aussi lâches que cyniques, qui ne cesse de s’attaquer aux élites et donc au savoir, qui s’enorgueillit de contester à la science sa pertinence et son utilité, la société est devenue acéphale, elle coure comme un poulet sans tête et semble vouloir se prendre le mur, tomber dans le ravin ou se brûler au feu.

 

Cette crise de la réforme des retraites, personne ne la souhaitait, personne n’en avait besoin (je parle de la crise, je ne me prononce pas sur la réforme. Qui le pourrait ?), après la crise des Gilets Jaunes, première incarnation de la furie des réseaux sociaux, celle du Covid, celle du dérèglement climatique, celle de la guerre en Ukraine, après les menaces angoissantes qui harcèlent notre futur, personne n’avait besoin de cette crise.

Et si la réforme était inévitable pour se protéger d’une nouvelle crise, celle de la finance, celle de notre dette, que ne l’avez-vous dit plus clairement, plus fermement !

Cette crise on pouvait l’éviter.

Tout le monde commet des erreurs d’appréciations, surtout quand le contact avec le réel mouvant des sentiments collectifs n’est plus médiatisé que par les machines à fake news et les discours hystérisés par des politiques calculateurs et déboussolés.

 

Mais cette erreur-là, on devait l’éviter.

On devait l’éviter simplement en regardant notre société essoufflée, chancelante de fatigue, après tous ces obstacles à moitié franchis.   

Mais non. Il a fallu regarder ailleurs, vers une campagne et des promesses à tenir, vers l’image du jeune prodige réformateur qui allait forcer la société à se conformer à la réalité, c’est-à-dire à un dépassement de l’opposition droite-gauche pour un affrontement contre les populistes. Il a fallu s’arcbouter sur une réforme peut-être nécessaire mais incomprise (qui sait ?) pour coller à cette image.

Il n’y rien de pire qu’être dupe de sa propre image.

 

Pas facile de naviguer quand tout autour de vous est fait d’un même bois, celui du mensonge et de l’outrance.

François Hollande a vu le monde changer pendant sa présidence et n’en a pas pris la mesure. Emmanuel Macron a fait mine de maîtriser le changement mais vient de prouver qu’il appartient peut-être lui aussi au passé.

Qui peut aujourd’hui tenir la dragée haute au populisme de gauche comme de droite ? C’est comme demander qui peut opposer aujourd’hui la vérité au mensonge, les faits aux faits alternatifs ?

Personne.

 

Les syndicats avaient averti : la ligne rouge c’était l’allongement de l’âge du départ à la retraite. Devant un tel refus à priori on peut comprendre la volonté de passer en force. C’était un refus politique avant tout. 

Le refus des masques et des vaccins aurait pu se transformer en révolte. Certains ont failli y croire et en épouser le mouvement. Honte à eux d’ailleurs. 

Mais le réel est venu leur clouer le bec. Le réel avec ses morts, ses malades et ses covid longs. 

Ici aucun réel palpable pour venir clouer le bec au refus. C’est bien le problème. On ne contraint pas une société à accepter les 64 ans comme on la contraint à se faire vacciner. 

 

Déni de démocratie entend-on. C’est vrai.

Car l’Assemblée aurait dû voter. Certes la Nupes n’a voulu ni débattre ni voter, de peur de voir la démocratie représentative accepter l’article 7.

Elle n’a voulu voter qu’au moment où elle a vu la possibilité de gagner.

Mais le gouvernement n’a pas voulu aller au vote car il n’était plus certain de l’emporter. 

Il est là le déni de démocratie. Le vote n’est accepté qu’en cas de victoire certaine. Par les uns comme par les autres. Vous n’êtes pas certains ? Alors obstruez ou passez en force. Evitez le vote, évitez le risque d’être contredits. Evitez l’autre.

Pourtant nous savons qu’il n’y a de majorité à l’assemblée que de circonstance.

Et si ce jour-là il n’y avait pas eu de majorité eh bien tant pis ! 

Ils ont opposé le constitutionnel à la démocratie. 

L’argument selon lequel les oppositions pouvaient s’exprimer lors du vote de la censure est un sophisme.

On a voulu prouver qu’il n’y avait pas de majorité alternative. Et alors ? Etait-ce pour autant légitime de ne pas vérifier s’il y avait une majorité pour cette réforme ?

Une preuve qui coûte cher. Le quoi qu’il en coûte n’est plus financier. Il est social et politique.

 

Il fallait que la réforme passe à tout prix ? Contre les vociférations des zadistes de l’assemblée, contre la fourberie de ceux qui n’ont qu’à ouvrir grand la bouche pour qu’au final la France leur tombe dans le gosier, contre cette droite perdue qui à l’instar du Parti Socialiste d’il y a quelques années ne sait pas qu’elle est morte.

 

Personne n’a réussi à convaincre assez les Français pour avoir une majorité à l’assemblée.

On ne peut pas se plaindre du manque d’offre. Il y en a eu pléthore sauf peut-être l’offre d’une gauche qui saurait gouverner. Il faut dire que la Maire de Paris qui déteste les parisiens n’a pas réussi à se faire aimer de tous les autres.

On dit que Macron a été élu pour faire barrage à Le Pen. C’est vrai. Personne ne sait ce qu’il aurait donné contre un autre qui aurait passé le premier tour. Y en a-t-il vraiment un pour croire qu’il aurait perdu contre Mélenchon ? 

Macron a été élu pour faire barrage à n’importe quel autre. Il a juste été préféré aux autres.

D’où cette réalité que certains veulent dénier : tout le monde a perdu… plus que lui.

C’est ça la démocratie. C’est le choix.

Et ceux qui lui font procès en légitimité se prennent le boomerang en retour. Un déni de démocratie en appelle un autre. C’est le discours des réseaux sociaux qui s’insinue en nous, dans notre système et nos consciences politiques comme un venin. 

 

Ça n’atténue pas l’énorme faute politique qu’il vient de faire, ça la tempère juste de l’escroquerie politique de ses concurrents.

 

Cette situation qui s’avère justement intenable est le prix à payer pour plier nos sociétés au discours débile et violent des réseaux sociaux. Ce discours qui entraîne un Brexit impossible et invivable, qui entraîne Trump et son 6 janvier. Il entraîne l’ingouvernabilité, le chaos logique. Il entraîne ces pouvoirs et cette assemblée de clowns. Il entraîne des mouvements contradictoires et désordonnés.

Nos sociétés vont de plus en plus s’aliéner à ce nouveau discours. La politique n’en sera que plus grotesque. Elle se caricaturera elle-même jusqu’à disparaître.

Nous assistons à la fin de la politique.

 

Voilà ce qui arrive quand on en veut aux élites, quand au lieu d’essayer d’en être, on veut les détruire de ne pas nous accorder de ristourne. 

Les élites… les dirigeants, les riches, les juges, les savants, les professeurs. Tout ce qui assoit son autorité de son expertise. 

Nous ne voulons pas des gens qui savent, nous voulons des gens qui savent nous faire rire, nous faire peur, nous faire rêver. Ders gens qui nous vengent de l’angoisse de vivre. Des gens qui savent nous faire croire que tout est possible, des gens qui savent nous faire oublier le réel, des saltimbanques ou des prestidigitateurs.

 

Pas étonnant que dans un monde qui se virtualise de plus en plus, qui substitue au monde une image fabriquée, qui nous épargne de plus en plus d’exposer nos corps à la réalité, qui gomme les magasins, les hôpitaux, les rencontres physiques, pas étonnant que dans ce monde où la vérité a statut de fiction, nous ne voulions plus entendre parler du Réel, ni entendre ceux qui essaient de l’affronter.

Nous ne voulons entendre parler que de nos fantasmes.

 

La société que cette crise révèle veut se débarrasser du politique et de la réalité. Elle va y parvenir.

 

A deux pas du bourbier ukrainien, à deux pas de la guerre.

A deux pas du Réel.