Les idées de mise en scène
Séquence 5
La séquence 5 est une première occasion d'expliciter ce qu'est une idée de mise scène, au delà du découpage et de la direction d'acteur. Cette séquence n'a pas été coupée ni ré-écrite au montage. En revanche elle a changé de place et, à la faveur d'une ellipse, se trouve dans le film à la suite de la séquence 1.
Dans le scénario, cette séquence suivait donc la présentation de Moïse, suggérant par là une action parallèle entre le "coup" de trade d'Alice et la séance au cours de laquelle Moïse et Sandra répètent le recrutement d'Alice..
Nous avons finalement "collé" cette séquence à la séquence 2. Cela permettait de boucler la présentation d'Alice, de solder la situation et de passer à autre chose. Il n'est pas rare qu'un montage parallèle dans le scénario soit remis à plat lors du montage du film. Les séquences sont regroupées. Ce qu'on accepte à la lecture, par manque de concentration, ne passe plus une fois le film monté. "Manque de concentration" : c'est à dire une lecture "normale" alors que pour lire correctement un scénario il faut imaginer le film, ce qui demande une certaine gymnastique intellectuelle. Il ne faut pas se laisser duper par la lecture comme si on avait affaire à un livre. Le scénario est la description du film à venir et il faut le juger en tant que tel.
Difficile car l'écrit a sa puissance propre qui vous happe et vous fait oublier pourquoi vous lisez.
Voici donc le nouvel ordre des séquences dans le film monté :
Scénario : 1 - 2 - 3 - 4 - 5
Film : 2 - 5 - 3 - 4 (la séquence 1 est placée après la séquence 15)
Cette séquence 5 est l'occasion de présenter ce qu'est une idée de mise en scène.
On réduit souvent la mise en scène au filmage et à la direction d'acteur. Un metteur en scène serait quelqu'un qui décide d'une part de ce que fera la caméra (mouvements, emplacements etc...) et d'autre part dirige les acteurs. On ajoutera qu'il décide sur tout le reste : choix des costumes, du maquillage, des coiffures, des accessoires etc... Le metteur en scène est celui qui décide.
Mais qu'est-ce qu'une idée de mise en scène ?
Ici le look de Cécile a été décidé bien à l'avance, en concertation avec la costumière, la coiffeuse et la maquilleuse. Le décor a été élaboré en concertation avec le chef décorateur. J'ai imaginé le découpage quelques jours avant en me promenant dans le décor et en essayant de visualiser la scène elle-même.
C'est en réfléchissant à cette scène à venir que probablement j'ai eu ces deux idées de mise en scène qui - sans en juger la qualité, et au-delà du jeu de Cécile - "font" à mon avis la séquence.
Pour préparer la mise en scène d'une séquence je relis très attentivement la scène dans le scénario. J'essaie alors de comprendre ce qui en fait la valeur et la signification. J'analyse ce qui doit être signifié et pour chaque détail de la scène je me pose la question de la façon de représenter ce qui est écrit ou ce qui est seulement suggéré. Je ne laisse pas le dialogue tout dire, ni même la situation. La mise en scène doit appuyer ou signifier ce qui n'est pas dit dans le scénario.
Quels sont alors les éléments du langage à notre disposition pour ce travail de représentation ? L'emplacement de la caméra bien sûr, c'est à dire le point de vue, le mouvement de la caméra, la focale utilisée, autant d'éléments qui vont aider à signifier quelque chose et puis il y a aussi ce que je vais demander de faire aux acteurs. Il ne s'agit pas ici de la façon dont je vais leur demander de "dire" le texte - c'est certes une partie de la direction d'acteur, partie qu'on peut laisser aux comédiens eux-mêmes d'ailleurs, ils ont une bonne idée de "comment dire le texte" - mais il s'agit de ce que je vais leur faire faire PENDANT qu'ils disent le texte. Car la direction d'acteur ne se réduit pas au texte.
J'ai demandé à Cécile de répondre à De Maux sans le regarder, sans se
tourner vers lui. c'était une manière de signifier ce que le scénario suggérait à savoir qu'Alice se
sentait techniquement supérieure à son patron, elle en savait plus que lui, elle avait été engagée dans cette banque pour ses talents spécifiques, elle estimait donc qu'on n'avait pas à lui faire de remarque. La faire répondre sans se retourner était une manière de la montrer cruelle et méprisante pour qui n'est pas à sa
hauteur.
Dans ce contexte, un plan d'Alice de dos était indispensable, afin d'être du point de vue de De Maux. Il fallait VOIR ce dos qu'elle oppose à De Maux. Et au montage on reste plus longtemps que de normal sur ce plan de dos quand un montage "standard" aurait proposé plus vite le visage d'Alice.
Donc, première idée de mise en scène : demander à Cécile de ne se retourner qu'à la fin de son long texte d'explication. C'est écrit dans le scénario sans être particulièrement appuyé mais cela induit un plan spécifique (Cécile de dos) et la longueur de ce plan dans le montage est l'idée de mise en scène.
Quand je dis que le scénario est la description du film à venir, cela signifie que la mise en scène est aussi dans l'écriture. Mais l'auteur ne peut pas tout prévoir, surtout quand il n'est pas réalisateur.
Bon, là l'auteur est aussi le réalisateur, mais c'est justement pour cela qu'il ne prévoit pas tout à l'avance. Il connaît bien celui qui va prendre le relais, ce qui peut parfois lui jouer des tours : il lui laisse le sale boulot à faire, et parfois il lui laisse une scène mal écrite à gérer...
Le scénario ne peut pas tout dire : les idées de mise en scène sont souvent déterminées par le décor, les costumes, les accessoires, autant d'éléments qui viennent après l'écriture. Il faut être ouvert à ce que la réalité apporte. C'est pourquoi il est important non seulement de relire la scène en essayant de la visualiser (on peut alors avoir des idées d'accessoires à ajouter, on le verra dans la suite de cet article) mais aussi d'observer le décor pour voir s'il n'y a pas des objets, des meubles, des éléments qui peuvent apporter quelque chose à la signification ou à l'émotion de la scène.
Parfois on visualise mentalement le décor et on a une idée d'accessoire que l'on suggère au décorateur, parfois c'est le décorateur qui en vous livrant son décor accessoirisé vous donne une idée d'utiliser un des accessoires pour la scène. Les idées de mise en scène, on peut les avoir à l'écriture, pendant la préparation, sur le tournage. C'est juste dommage de les avoir après le tournage parce qu'à ce moment là c'est trop tard. Ça arrive malheureusement.
La seconde idée qui fait la scène a été trouvée en lisant et relisant le scénario. J'ai un principe absolu : la scène ne peut pas, ne doit pas se réduire à ce qu'elle décrit. La scène n'a pas seulement une fonction elle a aussi une force et c'est cette force, qui n'est pas explicitée dans le scénario, que doit aussi prendre en charge la mise en scène.
Un personnage ne peut pas "seulement" dire le texte. Ça n'existe pas dans la vie. Quand on parle on fait toujours quelque chose en même temps. Souvent plusieurs choses. Il est rare qu'on soit simplement à regarder son interlocuteur pendant qu'on lui dit des trucs. C'est pourtant ce qui est marqué dans le scénario ou plutôt il n'est souvent rien spécifié d'autre que les dialogues. L'erreur alors est de demander aux personnages de dire le texte comme s'ils n'avaient rien d'autre à faire ! Et s'il y a des des didascalies elles concernent la façon de dire le texte, rarement ce que fait le personnage pendant qu'il parle.
Je voulais qu'Alice soit en train de faire quelque chose qui signifie sa sérénité alors qu'elle vient de prendre une positions ultra risquée sur les marchés financiers, position que lui reproche De Maux. Elle devait non seulement opposer son dos mais aussi opposer son calme, son sang-froid, son assurance.
Que pouvait-elle bien faire ?
Finir de manger un morceau de cake.
Cette idée avait plusieurs vertus : faire comprendre que du temps avait passé depuis l'achat de titres, montrer qu'elle est comme chez elle à son bureau, montrer sa solidité et surtout son insolence. Le mot "insolence" a souvent été prononcé quand on parlait du personnage avec Cécile. Il ne fallait pas se contenter de "jouer" l'insolence. La mise en scène doit faire tout le travail afin que l'acteur soit vraiment à l'aise. Évidemment j'aurais pu dire à Cécile : "là, tu es insolente, tu réponds avec une certaine insolence". Et elle l'aurait fait parfaitement. Mais je pense que la mise en scène doit faire le boulot.
J'ai donc proposé à Cécile que tout son texte soit dit en nettoyant son desk. Elle enlève les miettes consciencieusement.
Évidemment ça induisait un plan spécifique puisqu'il était alors indispensable de tourner un insert sur cette action. Le découpage est fonction des idées de mise en scène.
C'est à ce moment là qu'intervient l'intuition de l'acteur. C'est Cécile qui nettoie son desk d'une certaine façon. C'est elle qui empaquette d'une certaine façon son morceau de cake dans le mouchoir, c'est elle qui gère l'articulation de cette action avec son texte.
Et à ce moment là, l'acteur peut lui aussi compléter l'idée de mise en scène, jouer avec, créer.
C'est toute l'excitation du tournage que cette collaboration entre le metteur en scène et l'acteur.
Pour résumer, ces deux idées de mise en scène (encore une fois il n'est pas ici question de dire si ce sont de bonnes idées de mise en scène, ce sont juste des idées de mise en scène) auraient pu être suggérées à l'écriture (il faut quand même faire attention à ce que le scénario ne fasse pas 300 pages). Ces deux idées de mise en scène auraient pu être suggérées par l'acteur : "je voudrais jouer cette séquence sans jamais me retourner, je souhaiterais avoir un morceau de gâteau à terminer pendant que je dis mon texte", et souvent c'est le cas.
C'est vrai aussi que le metteur en scène est le garant de la cohérence du film, de la cohérence sémantique de la scène. Il doit donc trier les idées qu'on lui apporte. Le mieux est qu'il en ait lui-même.
Je suis convaincu qu'au-delà du jeu fascinant de Cécile dans cette scène, ce qui fait aussi la scène, ce qui la marque et la rend singulière, lui donne son identité, ce sont ces deux idées de mise en scène.
Le pire quand on arrive sur le plateau c'est de ne pas avoir d'idée. Etre face à son scénario et être impuissant à le dépasser.
Pour dire la vérité, ces deux idées, je les ai eues avant de tourner, en relisant le scénario en vue du tournage, pendant la préparation. Disons à quelques semaines du tournage. J'ai alors ré-écrit la scène en intégrant ces deux idées et comme cela, l'accessoiriste savait déjà qu'il faudrait un morceau de cake, un mouchoir, des miettes etc... Quelques fois on a ces idées le matin même du tournage et malheureusement, quand ça demande un peu plus de préparation, c'est trop tard pour les mettre en oeuvre.
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