Moïse et son équipe
Séquence 4
La séquence 4 est une bonne illustration de l'écriture d'un film au montage. Gérer la différence de rythme entre le lu et le vu, pallier aux faiblesses de l'écriture, elle-même sous l'influence de considérations de production.
La fonction de la séquence 4 était de montrer l'équipe du FSB que dirige Moïse, équipe à l'insu de laquelle Moïse va vivre son histoire avec Alice. La séquence contribue également à appuyer le caractère de Moïse : teigneux, irritable.
Il y a un module intégré dans les séquences 3 et 4. Un module qui peut être considéré comme une fonction qui attend une variable. Ce module, on peut l'appeler : "Erreur de stratégie".
On peut alors pitcher les deux séquences ainsi :
seq 3 : Moïse fait répéter Sandra et découvre "Erreur de stratégie".
seq 4 : Moïse reproche "Erreur de stratégie"à son équipe.
Cette façon de procéder permet d'avancer dans l'écriture du scénario sans spécialement avoir la meilleure idée pour "Erreur de stratégie". C'est une idée "module", c'est à dire que son contenu n'aura pas d'influence pour la suite de l'histoire, sauf poétique, éventuellement. Ce module est le truchement par lequel on présente l'équipe et son rapport à Moïse.
Il fallait avoir la meilleure idée possible pour "Erreur de stratégie" et celle qui est finalement dans le scénario puis dans le film n'est pas obligatoirement la meilleure. Elle fait l'affaire mais il pouvait peut-être y avoir mieux. C'est le genre d'exercice qu'on devrait proposer à des étudiants en scénario.
En jaune, ce qui a été coupé au montage, en rouge ce qui a été ajouté en voix off au doublage :
La scène écrite est encore un peu trop explicative. Difficile pour les acteurs de s'en sortir avec ce genre de texte. Dimitri Nazarov (Inzirillo, au bout de la table) s'en sortait plutôt bien, malgré une diction très laborieuse en français. En effet il n'avait pas eu le temps de travailler la prononciation à fond. En revanche pour le doublage il s'est très bien rattrapé. Mais JD a eu du mal avec ce texte et comme je l'ai déjà dit, JD est un de ces comédiens "baromètres" : quand il ne parvient pas à jouer un texte c'est que le texte n'est pas bon. J'ai des difficultés avec les comédiens qui savent jouer un mauvais texte. Leur technique ne vous rend pas service et surtout, cela signifie qu'ils sont plus techniques que sincères.
La prise que nous avons gardée sur JD quand il dit "Bon... trouvez autre chose", je l'adore. Il est excédé, dégoûté, déçu. Il a fait ça, je crois, sans même s'en rendre compte. Si je lui avais demandé de le refaire il n'aurait pas pu. C'est un bon signe. Signe qu'il s'est oublié, qu'il était entièrement dans la pensée de son texte. C'est le secret absolu du jeu je crois : penser son texte. Penser ce qu'on a à faire, ce qu'on a à dire. On peut faire semblant de le penser mais on peut aussi essayer de le penser vraiment. Et si on y parvient, il sort des choses qu'on ne peut pas maîtriser. Des choses vraies.
Que veut dire "penser son texte" ? Ça veut dire avoir les pensées du personnage qui impliquent qu'il dise ensuite ce qu'il a à dire. Cela signifie : avoir envie de dire ce texte, ces mots. Je dis souvent aux acteurs: il faut que tu aies envie de dire ta réplique, pas en tant qu'acteur mais en tant que personnage et pour cela il faut penser ce qu'on dit. Souvent un acteur n'est pas bon sur une réplique tout simplement parce qu'il ne pense pas ce qu'il dit.
Mais évidemment pour penser un texte, il faut que le texte soit bon, sinon c'est impossible. Il faut que le texte corresponde exactement à l'intention, sans littérature. Il faut que ce soit le personnage qui parle, pas le scénariste. Bref, cette démarche n'a d'intérêt que sur un type particulier de film, d'écriture et de mise en scène.
En coupant tout ce qu'on a coupé on a aussi perdu quelques éléments : explication sur la situation d'Alice, information que l'équipe que dirige Moïse est russe et goguenarde.
L'idée selon laquelle Moïse fréquente les prostituées répondait à la question : quelle est la vie sentimentale et sexuelle de Moïse ? S'il était marié, ou avait une maîtresse régulière, son histoire d'amour aurait posé d'autres problèmes qu'il n'était pas pertinent d'aborder. Mais alors comment vit Moïse/JD ? Difficile de croire que c'est un homme seul. D'où cette idée des prostituées. Ce qui n'a aucun intérêt si on ne le voit pas (il y avait à l'origine une scène où on le voyait mais qui a sauté - Dieu merci - avant le tournage).
Ce qui me donner l'occasion d'affirmer un vrai principe de scénario : ce qui est seulement dit dans un film n'existe pas. Pour que ça existe, il faut le montrer.
Si une information passe uniquement par du dialogue, elle n'a aucun poids. L'information n'existe pas dans le film. C'est comme si on n'avait rien dit.
Autrement dit, si un personnage dit de Moïse qu'il ne fréquente que les prostituées, à moins d'écrire une scène où on le voit effectivement, ça n'existe pas. Le personnage de Moïse ne fréquente pas de prostituée. Si ça n'est pas montré, le film en fait ne le dit pas.
Qu'on se le dise.
Mais parfois, il n'est pas aisé de suivre cette règle.
Montrée ou non, de toute façon, l'idée des prostituées était une mauvaise idée, plutôt sordide pour Moïse. C'est pourquoi nous n'avons pas eu trop de mal à couper cette partie de la scène même si les acteurs étaient plutôt drôles.
La scène avait des vertus et des défauts. Nous avons arbitré.
La séquence 4 fait partie du premier quart d'heure : celui qui mène à la scène de coup de foudre au bar. Tout ce qui pouvait retarder ce moment a fait l'objet d'une âpre discussion avec la production. L'idée selon laquelle le film ne commence vraiment qu'à la scène de rencontre était l'idée qu'on nous a souvent opposée. Moi je pensais que la scène de rencontre devait être nourrie, préparée.
Je voulais que mon film raconte l'histoire d'une vérité qui vient troubler cette mécanique des mensonges qui régit le monde du renseignement. Il fallait donc mettre cette mécanique en place.
Tout le problème était celui de la durée de cette mise en place et de savoir à quel moment cette durée est un obstacle ou un atout. D'où montage et remontage, engueulades, passions, tensions, frustration, satisfaction de trouver des solutions qui emportent la conviction de tout le monde, enthousiasme parfois...
Le premier quart d'heure d'un film est toujours, je crois, un enjeu majeur pour la production et la distribution. C'est à l'écriture qu'il faut anticiper le débat.
Il y a un module intégré dans les séquences 3 et 4. Un module qui peut être considéré comme une fonction qui attend une variable. Ce module, on peut l'appeler : "Erreur de stratégie".
On peut alors pitcher les deux séquences ainsi :
seq 3 : Moïse fait répéter Sandra et découvre "Erreur de stratégie".
seq 4 : Moïse reproche "Erreur de stratégie"à son équipe.
Cette façon de procéder permet d'avancer dans l'écriture du scénario sans spécialement avoir la meilleure idée pour "Erreur de stratégie". C'est une idée "module", c'est à dire que son contenu n'aura pas d'influence pour la suite de l'histoire, sauf poétique, éventuellement. Ce module est le truchement par lequel on présente l'équipe et son rapport à Moïse.
Il fallait avoir la meilleure idée possible pour "Erreur de stratégie" et celle qui est finalement dans le scénario puis dans le film n'est pas obligatoirement la meilleure. Elle fait l'affaire mais il pouvait peut-être y avoir mieux. C'est le genre d'exercice qu'on devrait proposer à des étudiants en scénario.
En jaune, ce qui a été coupé au montage, en rouge ce qui a été ajouté en voix off au doublage :
INT. planque moise monaco - JOUR
Deux hommes et une femme attendaient dans la pièce d'à côté : SOBCHAK, INZIRILLO et AVA.
MOISE
Vous pouvez pas jouer sur la peur. Ça marchera pas. UN : jamais CRAPULE croira que la RBI fait du blanchiment. Deux : Jamais il croira en plus qu'il peut être inquiété. Jamais Crapule croira qu'il risque quelque chose dans cette histoire de blanchiment.
InZIRILLO
Après Lehman Brothers... C'est pas très bon pour son CV.
MOISE
Son CV il s'en fout ! Travailler à la RBI, c'est (déjà) pas bon pour son CV ! Ce qu'il veut, c'est gagner le plus d'argent possible jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite, et comme il peut plus le faire aux Etats Unis, il le fait ici. Sa réputation, il en a rien à foutre. Ça fait trois semaines que vous bossez la-dessus et c'est ça que vous me sortez ?
Les collaborateurs se regardent perplexes.
MOISE (Suite) (CONT'D)
Trouvez-moi autre chose et vite !
Il s'éloigne dans le couloir.
La jeune femme se penche sur un des types.
AVA
Nié miéchalo b yémou sexam zanimatsa. Khot' inagda...
Il faudrait qu'il baise de temps en temps, celui-là.
INZIRILLO
On zanimayétsa! No za doraga.
Il baise! Mais ça lui coûte cher.
Rires.
SOBCHAK
Ou niévo niét diévouchki?
Il a pas de femme?
INZIRILLO
Niét, tolka mouzykalnyié avtamaty.
Non, que des juke-box.
AVA
???
INZIRILLO
Brassayéch maniétkou, i mouzyka igaryét.
Tu mets une pièce, et boum ça fait de la musique.
SOBCHAK
Yéscho i piésnu mojna vybrat'.
Et en plus tu choisis ton morceau.
Les deux hommes se marrent. Les deux femmes (SANDRA et AVA) un peu moins.
La scène écrite est encore un peu trop explicative. Difficile pour les acteurs de s'en sortir avec ce genre de texte. Dimitri Nazarov (Inzirillo, au bout de la table) s'en sortait plutôt bien, malgré une diction très laborieuse en français. En effet il n'avait pas eu le temps de travailler la prononciation à fond. En revanche pour le doublage il s'est très bien rattrapé. Mais JD a eu du mal avec ce texte et comme je l'ai déjà dit, JD est un de ces comédiens "baromètres" : quand il ne parvient pas à jouer un texte c'est que le texte n'est pas bon. J'ai des difficultés avec les comédiens qui savent jouer un mauvais texte. Leur technique ne vous rend pas service et surtout, cela signifie qu'ils sont plus techniques que sincères.
La prise que nous avons gardée sur JD quand il dit "Bon... trouvez autre chose", je l'adore. Il est excédé, dégoûté, déçu. Il a fait ça, je crois, sans même s'en rendre compte. Si je lui avais demandé de le refaire il n'aurait pas pu. C'est un bon signe. Signe qu'il s'est oublié, qu'il était entièrement dans la pensée de son texte. C'est le secret absolu du jeu je crois : penser son texte. Penser ce qu'on a à faire, ce qu'on a à dire. On peut faire semblant de le penser mais on peut aussi essayer de le penser vraiment. Et si on y parvient, il sort des choses qu'on ne peut pas maîtriser. Des choses vraies.
Que veut dire "penser son texte" ? Ça veut dire avoir les pensées du personnage qui impliquent qu'il dise ensuite ce qu'il a à dire. Cela signifie : avoir envie de dire ce texte, ces mots. Je dis souvent aux acteurs: il faut que tu aies envie de dire ta réplique, pas en tant qu'acteur mais en tant que personnage et pour cela il faut penser ce qu'on dit. Souvent un acteur n'est pas bon sur une réplique tout simplement parce qu'il ne pense pas ce qu'il dit.
Mais évidemment pour penser un texte, il faut que le texte soit bon, sinon c'est impossible. Il faut que le texte corresponde exactement à l'intention, sans littérature. Il faut que ce soit le personnage qui parle, pas le scénariste. Bref, cette démarche n'a d'intérêt que sur un type particulier de film, d'écriture et de mise en scène.
En coupant tout ce qu'on a coupé on a aussi perdu quelques éléments : explication sur la situation d'Alice, information que l'équipe que dirige Moïse est russe et goguenarde.
L'idée selon laquelle Moïse fréquente les prostituées répondait à la question : quelle est la vie sentimentale et sexuelle de Moïse ? S'il était marié, ou avait une maîtresse régulière, son histoire d'amour aurait posé d'autres problèmes qu'il n'était pas pertinent d'aborder. Mais alors comment vit Moïse/JD ? Difficile de croire que c'est un homme seul. D'où cette idée des prostituées. Ce qui n'a aucun intérêt si on ne le voit pas (il y avait à l'origine une scène où on le voyait mais qui a sauté - Dieu merci - avant le tournage).
Ce qui me donner l'occasion d'affirmer un vrai principe de scénario : ce qui est seulement dit dans un film n'existe pas. Pour que ça existe, il faut le montrer.
Si une information passe uniquement par du dialogue, elle n'a aucun poids. L'information n'existe pas dans le film. C'est comme si on n'avait rien dit.
Autrement dit, si un personnage dit de Moïse qu'il ne fréquente que les prostituées, à moins d'écrire une scène où on le voit effectivement, ça n'existe pas. Le personnage de Moïse ne fréquente pas de prostituée. Si ça n'est pas montré, le film en fait ne le dit pas.
Qu'on se le dise.
Mais parfois, il n'est pas aisé de suivre cette règle.
Montrée ou non, de toute façon, l'idée des prostituées était une mauvaise idée, plutôt sordide pour Moïse. C'est pourquoi nous n'avons pas eu trop de mal à couper cette partie de la scène même si les acteurs étaient plutôt drôles.
La scène avait des vertus et des défauts. Nous avons arbitré.
La séquence 4 fait partie du premier quart d'heure : celui qui mène à la scène de coup de foudre au bar. Tout ce qui pouvait retarder ce moment a fait l'objet d'une âpre discussion avec la production. L'idée selon laquelle le film ne commence vraiment qu'à la scène de rencontre était l'idée qu'on nous a souvent opposée. Moi je pensais que la scène de rencontre devait être nourrie, préparée.
Je voulais que mon film raconte l'histoire d'une vérité qui vient troubler cette mécanique des mensonges qui régit le monde du renseignement. Il fallait donc mettre cette mécanique en place.
Tout le problème était celui de la durée de cette mise en place et de savoir à quel moment cette durée est un obstacle ou un atout. D'où montage et remontage, engueulades, passions, tensions, frustration, satisfaction de trouver des solutions qui emportent la conviction de tout le monde, enthousiasme parfois...
Le premier quart d'heure d'un film est toujours, je crois, un enjeu majeur pour la production et la distribution. C'est à l'écriture qu'il faut anticiper le débat.
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