Présentation de Moïse
Séquence 3
La séquence de présentation de Moïse a été une des plus laborieuses à monter et a fait l'objet, elle aussi, de nombreuses retouches, hésitations, revirements. L'arbitrage entre le rythme et l'efficacité d'une part et les informations à fournir de l'autre a été délicat. Le ver était dans l'écriture, comme d'habitude.
#Möbius J33 nouveau décor important. Planque Moïse Monaco. Équivalent de la planque Paris des patriotes. On va y rester plusieurs jours.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
INT. planque moise monaco - JOURUn homme est allongé sur un canapé de cuir noir dans le coin salon d'un bureau, clair et spacieux, dont les fenêtres donnent sur Monte-Carlo.Un mouchoir à carreaux bleus et rouges repose sur le visage de l'homme, peut-être pour le protéger de la lumière pendant sa sieste.Une femme pénètre dans le bureau. Délicatement, elle ferme la porte. Elle vient s'asseoir dans un fauteuil, face au canapé.SANDRABonsoir...L'homme redresse légèrement la tête. Il retire le mouchoir qui lui cache le visage. C'est un homme d'environ 40 ans. Les cheveux trop blancs pour son âge, la barbe de quelques jours, les traits creusés mais l'oeil vif. Il lance un regard inamical vers la femme.MOISEBonsoir.Il se replace le mouchoir sur le visage. Il reprend sa position.
Amorce du personnage de Sandra en longue focale, les joies du studio |
La femme attend un moment puis se lance :SANDRAC'est agréable à cette heure, il n'y a personne...L'homme hoche la tête sous son mouchoir. Visiblement, il ne désire pas être dérangé.SANDRA (Suite) (CONT'D)D'après vous, l'Euribor 10 ans va remonter?L'homme "arrache" littéralement le mouchoir de son visage.MOISEPardon?
SANDRAJe vous demande : D'après vous, l'Euribor 10 ans va remonter?L'homme s'assoit à présent.MOISEPourquoi vous me demandez ça ?SANDRAJe suis un peu longue sur l'Euribor dix ans...MOISEEt pourquoi je saurais de quoi vous parlez ?SANDRAUne intuition...L'homme étudie la jeune femme d'un air surpris. Elle le regarde, naturelle, sereine. Elle a trente ans, un visage épanoui.MOISEUne intuition? C'est tout ce que t'as trouvé? Si tu attaques comme ça - pourquoi pas? - C'est pas pour traîner. Tu sais qui il est, tu lui fait savoir, tu continues direct, tu temporises pas.La jeune femme acquiesce.SANDRAOk.MOISEOn reprend...(il se remet dans la peau de son personnage)Pourquoi je saurais de quoi vous parlez ?SANDRAVous travaillez à la RBI, non?MOISEOui, on se connaît?SANDRAMoi, je vous connais...MOISEAh bon? Vous travaillez à la RBI aussi?SANDRANon...L'homme s'emporte.MOISEA quoi ça sert de faire tous ces mystères?SANDRAJ'y vais mollo...MOISEPourquoi?SANDRAPour ne pas le brusquer ou l'effrayer...MOISETu plaisantes? T'es déjà effrayante! "Moi je vous connais", "Non je travaille pas à la RBI"... Attaque! Il fait 50¡ là-dedans! Je reprends : On se connaît?
La jeune femme retrouve son calme rapidement.SANDRAJe travaille pour la section des enquêtes financières de la police monégasque... Là, je lui montre ma carte. Je ne l'ai pas encore mais je la reçois cet après midi par...MOISE fait signe d'enchaîner.SANDRA (Suite) (CONT'D)Vous savez à qui appartient la RBI?MOISE(un ton blasé)IVAN Rostovski, milliardaire russe, 30e place au classement Forbes, ami du président russe, réputation sulfureuse, je sais tout ça... j'entends ce refrain tous les j...SANDRA... On le soupçonne d'utiliser sa banque pour des opérations de blanchiment.MOISE se marre. Il est vraiment dans la peau d'ALICEMOISEBien sûr et d'enlever les petites filles aussi.SANDRAVous croyez que je plaisante ? Vous croyez que ça nous amuse de devoir enquêter sur des gens qu'on a autorisé à s'installer chez nous ? Vous croyez qu'on fait ça juste parce qu'on a un vague pressentiment ?MOISE réfléchit. Quelque chose le gêne. Il continue finalement.MOISEQu'est-ce que vous voulez en fait?SANDRAQue vous nous aidiez à en savoir plus...MOISEVous voulez que j'espionne ma banque ?!SANDRAOui.MOISE se marre de nouveau.MOISEEt... je suis payée combien?SANDRA... C'est une question d'argent?MOISEJuste pour savoir. Ça m'intéresse.
Où l'on voit ici l'intérêt de tourner en studio : caméra derrière le canapé à la place du mur |
SANDRAOn vous offre la possibilité d'échapper à la justice quand tout le monde se fera arrêter.MOISE...SANDRA...MOISENon, ça ne marchera pas.SANDRAComment ça?MOISETu vas lui faire croire que tous les employés de la banque vont être accusés de complicité?SANDRA...MOISE se lève brusquement. Il se précipite pour ouvrir la porte du bureau. Il sort dans le couloir.
Ecriture
Je savais en l'écrivant que la scène était trop longue. Je me disais qu'on la réduirait au montage. On aurait alors une meilleure idée de la durée idéale pour la scène. Je ne voulais pas décider trop tôt de ce qui serait superflu ou non.
Dans ce scénario, la moindre coupe, la moindre modification des dialogues pouvait avoir des conséquences désastreuses sur ce château de carte qu'est l'intrigue. C'est une histoire "ficelée" comme on dit. On ne peut couper les ficelles à la légère. On ne s'en rend pas compte sur le moment mais un jour on réalise que la coupe opérée déséquilibre d'autres séquences. C'est pourquoi j'étais plutôt rétif aux changements de texte suggérés par les comédiens. Dans l'urgence du tournage on peut manquer de lucidité et accepter une facilité de dialogue. Mais on n'en voit pas tout de suite les conséquences. Il faut rester froid sans pour autant être rigide car quelques fois le texte est tout simplement impossible, il faut le reconnaître. Le moment est difficile à gérer et tout peut basculer. C'est de la faute de l'auteur. Il n'avait qu'à y penser avant.
#Möbius J33 c'est une scène entre JD et ED. Longue. Quasiment statique mais avec des rebondissements. Intéressant à découper.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 ici les places caméras ne dépendent pas de l'action mais de ce qui se dit et de ce qui se joue. À la télé on ferait 3 plans.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 ici on en fait 16... C'est évidemment une différence de moyens donc de temps. C'est aussi une différence d'ambition.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 en fait ce n'est pas à fait une différence d'ambition. C'est une différence d'exigence. Et l'exigence demande un min de moyens
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 sur mafiosa saison 3 j'ai essayé d'avoir cette exigence mais j'ai du me battre comme un chien contre des moyens non adéquats.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 c'était les moyens d'une série. Rien a dire. Mais je ne voulais pas leur adapter l'exigence. C'était absolument épuisant.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 ici l'exigence cherche ses moyens mais ils sont déjà plus adaptés. Un travail de réglage est possible non utopique. Heureusement
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 satisfait des premiers plans. Très "les patriotes". Prend plus de temps que prévu. J'espère ne pas avoir à simplifier encore.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
#Möbius J33 encore collé par le temps.M'en fous. Je fais les plans inutiles avant de faire les nécessaires. La séquence l'exige.
— Eric Rochant (@erochant) 7 juillet 2012
Préparation
Je me suis longtemps demandé à quoi devait ressembler la planque de Moïse. Pendant un temps, quand l'action du film était située à Londres, la planque était simplement le dernier étage de l'ambassade de Russie. Classique. Mais à Monaco il n'y a pas d'ambassade de Russie. J'ai réfléchi alors à un autre lieu, genre cabinet d'architectes, d'avocats, d'audit. Un endroit qui justifie qu'on se réunisse à plusieurs. Et finalement nous avons opté pour un simple appartement loué.
Cette hésitation sur la nature du lieu a des conséquences sur le décor final. Il n'est pas aussi fort qu'il devrait l'être. Parce qu'il ne s'appuie pas sur une idée forte. Les combles aménagées de l"ambassade de Russie à Londres, ça c'était mieux, plus fort et du coup toutes les scènes auraient été plus faciles à tourner. Là, malheureusement, à cause de cette indétermination sur la nature du décor, le tournage, le découpage, la mise en scène, ont été compliqués, laborieux. Le décor n'était pas en cause, c'est le concept sous le décor qui était responsable.
Tournage
Je voulais faire beaucoup de plans, j'ai fait beaucoup de plans, malheureusement le Chef Opérateur n'a pas pu me laisser tourner à deux caméras dans des axes différents. C'est une des seules fois où je n'ai pas pu placer mes caméras dans un angle de 90°, je devais les placer dans le même axe. La lumière était compliquée et Pierre Novion m'a demandé d'accepter cette contrainte. Résultat je n'ai pas la richesse de découpage souhaitée et n'ai pas pu suffisamment compenser le côté statique de la scène par un filmage riche.
Faute de s'appuyer sur un concept solide, le décor ne m'a pas inspiré. Il y avait peu d'amorces (contrairement à la salle des marchés) et j'avais l'impression de filmer platement. j'ai bien essayé de faire des mouvements comme dans The Wire mais le temps pris par la lumière ne m'a pas laissé assez de liberté. Bref j'ai été frustré et ça s'est retrouvé au montage.
Comme toutes les scène d'exposition, cette séquence était importante pour JD. Il fallait donner le ton du personnage dans un registre qu'on n'aurait pas le temps de beaucoup développer : son côté teigneux, irrité par son équipe, soucieux du travail bien fait, dur et sans indulgence pour ses collaborateurs.
Il y a eu un dosage à trouver entre les informations à distiller (sur Rostovski, sur la mission) et le caractère du personnage. Le côté informatif est toujours, TOUJOURS, une plaie. C'est ce qui ne peut pas être joué, ce qui ne devrait pas pouvoir être joué.
Un comédien qui sait très bien jouer ces textes informatifs est un faux ami. Il vous empêche de réaliser que votre texte est mauvais ou médiocre. En le jouant bien, il vous rend un mauvais service.
Les très bons comédiens n'y parviennent pas. Un très bon comédien n'a pas le devoir de savoir tout jouer et certainement pas un mauvais texte. Le très bon comédien, au contraire, est une sorte de baromètre de qualité. Quand il n'arrive pas à jouer votre texte, c'est que le texte est nul.
C'est le cas de JD.
Le problème c'est que quand il galère pour jouer votre mauvais texte, on est en général sur le tournage et c'est trop tard pour en changer ou du moins pour amender le texte de façon satisfaisante.
D'où l'intérêt des répétitions.
Montage
Peu inspirés, nous avons livré une première version de cette scène où nous avions quasiment tout coupé. Il ne restait même plus les emportements de Moïse, ce qui me plaisait pourtant le plus au tournage. Nous n'aimions plus le jeu des comédiens, le filmage, les idées de mise en scène. Tout nous irritait. Tout nous semblait mauvais. Nous n'avions gardé que le strict nécessaire.
Nous avons montré ce premier montage à JD qui n'en a pas cru ses yeux : où était passé la scène ? "Moïse n'existe pas" nous dit-il. Sans colère. Juste une constatation cruelle.
A force de couper nous avions fait disparaître le personnage. Nous sommes revenus à la raison. Ce n'est pas pour autant qu'on a tout de suite trouvé le bon rythme et le bon moment pour créer une ellipse dans la séquence qui était définitivement trop longue et trop explicative (voir le texte en jaune finalement coupé).
Cette séquence a eu un drôle de destin. A l'écriture je l'aimais beaucoup. Séquence jubilatoire comme la scène d'exercice du début des Patriotes. Puis, au fur et à mesure des ré-écritures successives, ici pour améliorer la compréhension, là pour ne pas trop froisser Monaco, la scène est devenue laborieuse. Résultat : un décor un peu flou, des acteurs qui courent derrière la scène, la lumière qui prend trop de temps, un montage bridé par un nombre trop faible de bonnes prises.
Et au final, une séquence que nous avons oublié d'apprécier.
Il a fallu faire beaucoup de détours pour retrouver l'enthousiasme du début d'écriture. Beaucoup de travail, de cogitations, de tentatives et d'engueulades. Pour finalement aboutir à quelque chose qui est quand même satisfaisant même si ce n'est pas tout à fait la séquence dont j'avais rêvé.
Le ver était dans l'écriture. Il est toujours dans l'écriture.
#MöbiusDéjà je pense aux scènes intimes que je vais tourner fin du mois. Depuis le début de la prépa il est prévu qu'on les tourne en fin
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius ces scènes sont le cœur palpitant du film. Le fluide intime qui s'insinuera dans toutes les autres comme une marque indélébile.
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius ces scènes sont un défi à moi même. Je suis le seul à avoir décidé de leur importance. Dans le scénario elles sont vagues.
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius ... genre "ils font l'amour, ça se passe bien". Comme d'ailleurs dans tous les films d'amour. Ça se passe bien. C'est super.
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius veux que ces scènes marquent l'histoire, nourrissent tout ce qui les suit jusqu'à la fin. La musique peut jouer ce rôle. Insuffisant
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius elles doivent aussi marquer les esprits par l'émotion qui doit s'en dégager. s'agit de décrire ce qui se joue entre eux dans l'amour
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius et non pas juste dire "ça se passe bien". Je veux de l'émotion. Un frisson de sensualité. Alors je m'y prépare. Je réfléchis. Déjà.
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius les deux acteurs auront eu tout le film derrière eux et ils ont prouvé depuis le début qu'il étaient à la hauteur de tout.
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius ce n'est pas eux ma crainte. Je dois trouver la solution poetique. Transcrire en mise en scène cette abstraction que je m'impose
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
#Möbius j'ai déjà des idées des pistes mais rien de global ni de définitif. Alors déjà trois semaines avant, j'y pense j'essaie de trouver.
— Eric Rochant (@erochant) 9 juillet 2012
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire