Les médias ne fonctionnent qu’à un seul carburant, la dramatisation.
Aucun événement, aucune actualité n’a de valeur si elle n’est pas dramatisée. Sans dramatisation on ne vend pas, on n’attire pas, pire, on perd de l’audience, car les concurrents, eux, dramatisent.
Après l’ère de la communication, nous voici donc, et depuis quelques temps déjà, à l’ère du drama.
La dramatisation a ses règles, ses techniques, ses pièges et ses impasses. Celui qui les maîtrise, maîtrise le terrain.
Si un événement n’est pas dramatique en soi, les médias se chargeront de le dramatiser et s’ils n’y parviennent pas, l’événement n’existera pas.
La première règle de la dramatisation est l’enjeu narratif. Aucune actualité ne peut émerger si elle ne se présente pas avec un enjeu, un but à atteindre, un obstacle à éviter, bref un désir.
Créer le désir est la règle d’or de tous ceux qui veulent créer l’événement. Sans ce désir il n’y aura pas de médiatisation.
Un désir c’est une tension vers quelque chose qui n’est pas encore là. Une tension positive comme un but à atteindre ou une tension négative comme un drame ou un obstacle à éviter.
Mais ce désir doit s’incarner. Il doit être concret, s’appréhender, se comprendre, se palper. Pas de désir sans objet du désir.
Donc pas de dramatisation sans objet du désir à posséder ou à éviter.
Dans une compétition de communication comme l’est inévitablement une élection, la dramatisation est l’unique moyen de gagner… les médias. Et avoir les médias avec soi, c’est avoir fait une bonne partie du chemin.
Créez un objet de désir positif ou négatif, les médias seront avec vous.
On dramatise en posant une de ces deux questions : Notre héros va-t-il y arriver ? Ou notre héros va-t-il s’en sortir ?
Aucune actualité n’existera dans les médias si elle n’obéit pas à cette structure.
Les médias se disputeront l’évènement « dramatisable ».
La valeur médiatique d’un événement se mesure à sa dramatisabilité.
Il est paradoxal de réaliser que la couverture médiatique de la réalité est en fait un écran. Les médias ne découvrent pas le monde, ils le recouvrent d’un drap de drama.
La face du monde rendue visible par les médias n’a plus de rapport avec le monde lui-même. C’est une ombre portée sur le mur de la scénarisation.
Livrez du drame – c’est-à-dire de l’objet du désir – et les médias vous couvriront d’or (médiatique), offrez-leur une réalité dramatisables et ils vous placeront en tête de gondole.
EN 2012 nous avions eu le croisement des courbes (objet du désir), en 2017 la montée du petit nouveau (Va-t-il y arriver ?), en 2022 Mélenchon premier ministre (va-t-il y arriver ?)
Évidemment il ne suffit pas de poser un enjeu. Il faut que cet enjeu soit concret, simple, et si possible visuel, voire poétique. Personnel c'est encore mieux. Incarné c'est essentiel.
Parvenir à réduire le chômage, à juguler l’inflation, à réduire la dette… autant d’enjeux non dramatisables.
Mélenchon a compris le topo.
Il a immédiatement dramatisé l’élection législative, avant tout le monde, en posant l’objet du désir : élisez moi premier ministre.
Qu’importe que cette injonction n’ait rien à voir avec le réel. Les médias avaient leur pain. Ils n’ont cessé de traiter de ce désir. D’où la surmédiatisation de la France Insoumise.
Le problème avec cette nature médiatique c’est que le Réel, lui, joue en tâche de fond.
D’où son irruption en forme de claque dans la gueule.
A la fin, il surprend et s’impose et parfois vous assomme. Vous n’étiez pas préparé, car les médias ne vous ont pas décrit le vrai monde, mais uniquement une bonne histoire. Ça n’est pas le problème de les croire ou ne pas les croire, ils ne décrivent pas mais construisent un monde qui n’est pas réel.
Pas toujours par malice ou idéologie. Par nature toujours. Et par paresse souvent.
A la fin, quand le film est terminé, on sort de la salle les yeux pleins de rêve et d’émotions et on réalise que dehors il pleut, c’est la tempête, il fait froid, ça brûle, la guerre en Ukraine fait rage, le Covid est de nouveau en augmentation exponentielle, et le RN a gagné.
C'est le réel.
Excellent ! La narrativité a gagné les médias qui construisent l’histoire politique de notre société de spectacle. La fiction s’empare du réel et le réel de la fiction.
RépondreSupprimerJe viens de découvrir ce matin ce blog. Naviguant sur Tic Toc, je tombe sur une interview de Mathieu Kassowitz dans lequel le journaliste questionne le déroulement du tournage du Bureau des Legendes sous le prisme des visions politiques supposées antagonistes entre l'acteur et son réalisateur. Kassowtiz élude et parle du tournage. Connaissant les positions idéologiques de l'acteur que je ne partage pas, je suis intrigué et curieux de connaître celles d'Éric Rochant, dont le film culte reste cher à mon cœur de jeune adulte des années 80 (la mienne est "putain t'as pas du shit à couper"). Et là, je tombe sur le blog sur la fin de la fin des idéologies repris par L'Express. Rien à ajouter ou retirer. Limpide, simple comme toute pensée profonde et réfléchie. Loin des blablas idéologiques. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Une véritable boîte à outils pour penser. J'ai évidemment transféré ce texte à mes deux enfants 25 et 21 ans) car c'est à eux de s'équiper intellectuellement pour ne pas tomber dans les pièges idéologiques et manipulateurs qui embrument ma pensée libre que chacun doit construire sur son chemin de vie. Merci, merci de ces retrouvailles aussi inattendus que libérateurs.
RépondreSupprimerMr Rochant on kiffe. Vous lire, vous entendre, voir vos réa.
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