19 mai 2023

La hantise du donné

La hantise du donné

 

Depuis longtemps le donné nous ennuie.

Un monde qui nous est donné nous limite, limite nos désirs.

Nous, êtres de désir, ne voulons plus être frustrés.

Nous sommes finis, c’est notre croix. Nous voulons être des Dieux.

Aussi repoussons-nous toujours les limites que nous impose le monde. Nous le travaillons afin qu’il ne nous limite plus.

Nous cherchons à nous mouvoir dans l’espace toujours plus vite, nous voulons aller toujours plus loin. Sur terre, dans les airs, dans l’espace.

Le donné objecte mais nous cherchons à le contrer.

C’est notre noblesse de ne pas nous incliner. C’est ce qui origine la science et la technique. 

Nos progrès sont autant de refus des limites du donné.

 

Mais le donné nous ennuie de plus en plus, plus profondément. Notre insatisfaction n’a elle-même plus de limite.

Nous refusons certes les maladies, les atteintes au corps mais pas seulement. Nous refusons notre nature.

 

Il faut dire que le donné le plus éminent c’est notre corps, celui que notre conscience habite. C’est notre boite et notre condition. Notre destin dira-t-on.

Nous refusions que le donné de notre corps nous impose la souffrance ou la mort. Nous sommes chercheurs, médecins. Nous nous réparons.

La mort et l’âge, un autre donné qui ne nous sied pas. Nous ne voulons ni mourir ni vieillir. On y travaille.

Mais ça n’est pas tout.

Notre insatisfaction attaque maintenant le donné d’origine. Notre sexe, notre genre.

Nous refusons ce donné-là aussi.

Mes désirs ne sauraient être limités par la nature.

La nature doit être ma volonté, aidée soit par la technique soit par le consensus social.

Appelez-moi homme ou femme, indépendamment du donné.

Un jour viendra peut-être où même XX et XY seront à ma main.

Ce jour-là nous serons peut-être proches des Dieux.

 

A moins que le donné ne soit le produit logique de notre propre existence.

Nous repoussons toujours plus loin les limites de notre corps. Aspirine, antibiotiques, thérapies géniques… le donné de la maladie s’éloigne.

Mais revient toujours. De là où nous l’avons repoussé.

Et le Sida, et le Covid…

Nous allons battre le cancer ? Quelque chose en ressortira qui nous rappellera que notre corps est bien notre destin, bien notre finitude.

C’est la logique du corporel.

Le corps c'est le réel, c'est ce qui reviendra toujours à la même place disait Lacan. La place de la limite que le langage impose.

 

Le donné n’est pas seulement notre corps, c’est aussi nos affects, individuels et collectifs. Oui collectifs. Les réseaux sociaux donnent corps à des affects collectifs. Et ça travaille les corps ensuite. Ça induit des mouvements physiques.

Et nous nous retrouvons en face de ce corps collectif comme les traders en face du marché. Une mer qui a ses propres vagues, une somme des mouvements individuels qui ne se réduit pas à leur agrégation.

Les réseaux sociaux constituent le marché des opinions. Un marché qui nous englobe, qui nous travaille en retour, qui nous aliène et qui décide pour nous.

C'est un avatar de la fin du collectif et de l'avènement de l'individu. Ultime et terrible conséquence de l'individualisme.

Et la guerre, et la dictature, et la barbarie… autant de manifestation de notre propre donné dont nous ne voulons souvent rien savoir. Nous créons nos propres idéologies mortifères, au nom du bonheur et du Bien.  Nous voulons le bien de tous et nous faisons le mal autour de nous. 

Ce donné-là est en nous, pas seulement dans notre corps mais dans notre propre naissance au monde.

Un donné qui vient de nous. Notre déité crée notre finitude. Nous nous limitons nous-mêmes.

 

Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans nos têtes pour que nous refusions le manque ? Pour que nous n’acceptions plus la vertu de la frustration ?

Le sacré, cette incarnation du donné irréductible, du non alghorithmisable, nous a abandonné. Nous en somme orphelins et ne savons plus comment grandir.

La fin du sacré nous laisse penser que nous pouvons être des Dieux. 

Alors nous ne pouvons plus accepter d’être juste humains.

 



1 commentaire:

  1. Je lis et je relis. J’enlève quelques grains de romantisme, et c’est magnifique.

    C’est pas nous les méchants.

    Et pourtant.

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