21 décembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 14


Je me suis fait projeter le film il y a deux jours. Moi seul dans une grande salle, écran géant. Je voulais vérifier à quoi il ressemblait avec les dernières coupes de montage. Juger l’histoire dans sa continuité et valider les deux déplacements de musique que j’avais décidé la veille.

J’ai vu le film différemment, pas exactement comme un spectateur mais pas exactement comme le réalisateur. J’ai pu voir comment l’améliorer encore au mixage. Et j’ai décidé d’ajouter quelques cartons de localisation parce qu’on m’avait dit que c’était nécessaire pour une meilleure compréhension de l’intrigue. Sur papier j’étais contre et je me suis rangé à l’avis général.

Maintenant le film est bouclé. Il ne changera plus. Le mixage continue. Chaque détail de son est travaillé, évalué, réinventé. L’étalonnage se poursuit également. Mais le temps nous est compté. Il faudra encore faire les sous-titres et en janvier superviser la version française doublée.

Pendant ce temps le distributeur travaille sur les éléments marketing : affiches, bande annonce. Je n’ai pas vraiment le temps d’y mettre mon nez, trop pris par les finitions. J’espère que le film sera bien vendu mais je n’ai ni les compétences ni le recul nécessaire pour en juger convenablement. Je ne peux qu’espérer que les producteurs et Europa savent ce qu’ils font.

Il faut tout faire vite, penser vite, exécuter vite.
Le temps des regrets est déjà venu. Les modifications du scénario par le montage me font réfléchir aux lacunes de l’écriture. J’essaie de ne pas y penser. C’est trop tôt. Mais je sens poindre les premières lueurs sombres.

Faire un film tient réellement de la performance. Tout doit être fait ici et maintenant. Et même au montage, le temps aujourd’hui imparti à la post production n’est pas synchrone avec le temps de la réflexion. C’est toujours trop tôt ou trop tard. Cela demande une tension nerveuse permanente. A moins de laisser faire le hasard. Je m’y soumets quelques fois mais j’essaie d’en circonscrire l’intervention.
Le hasard il faut savoir le recevoir et le transformer en occasion d’inventer. Parfois pour le mieux et parfois pour le pire. C’est excitant et exténuant. Et puis vient le temps de contempler le désastre ou le spectacle si on n’est pas trop déprimé.

Les finitions sont comme une voie toute tracée. Avant on pouvait  encore décider des courbes du chemin, maintenant c’est fini. On suit le chemin et on essaie de faire au mieux. Si on me proposait d’arrêter, de revenir en arrière, de réfléchir encore, je refuserais. Le film est le symptôme du moment. Il faut l’accepter. Il serait maintenant inutile de refaire le chemin pour vérifier si c’est le bon. Les décisions ont été prises, c’est trop tard, il faut l’assumer.

La projection de presse s’est bien passée. Ça ne veut rien dire. Ça veut juste dire qu’elle ne s’est pas mal passée et c’est déjà ça. On monte l’escalier marche après marche. On ne regarde pas vers le sommet. J’ai connu des projections de presse terrifiantes, des premières réactions déprimantes. Là, au contraire on me renvoie ce que j’ai voulu faire. C’est satisfaisant. C’est partiel mais c’est déjà bien.

Passer le test des journalistes. Passer le test des professionnels, le test des spectateurs. Et essayer d’y trouver quelque vérité sur le film. Ce n’est pas suffisant. Il y a aussi le test du temps. Le temps proche et puis les années qui passent. Je pense aux Patriotes. Poussé par les premiers journalistes comme un événement, puis sélectionné à Cannes puis descendu par les journalistes suivants puis mal sorti au mois de juin, échec commercial. Cet échec m’a sorti de la route que je m’étais imaginée. Il m’a fallu presque vingt ans pour la retrouver.

On a tendance à trop se regarder quand on fait un film. A trop aimer ses images et ne pas vraiment les voir. A surestimer ce qu’on a fait. Le réel peut vous mettre des claques, vous réveiller ou vous assommer.

Le temps du réel approche à grand pas.

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