08 octobre 2020

Deux sociétés face au virus

 Il faut se rendre à l’évidence : Le rapport de notre société à l’épidémie a changé et nous n’en avons pas tenu compte pour établir la nouvelle stratégie de lutte contre la dissémination du virus.

Cela fait maintenant plus de deux mois que le masque est obligatoire dans tous les lieux publics clos et plus d’un mois qu’il est obligatoire en extérieur dans de nombreuses agglomérations.


Nous marchions avec nos masques docilement portés, nous nous croisions, protégés par la distance et le tissu, avec ce sentiment d’être tous égaux devant la mort, comme sous l’uniforme… et nous avons tous traversé ces terrasses de café bondées, où les clients, jeunes pour la plupart, s’entassaient sans masque et sans distance, ce qui rendait notre discipline bien dérisoire.


Nous avons eu vent de ces fêtes, de ces roof tops, de ces raves, de ces mariages, de ces anniversaires, alors que tout le monde le disait : les clusters, c’est là. Nous les avons vues se tenir, impuissants, avec nos gentils petits masques.

Et nous avons vu les hôpitaux se remplir consciencieusement, les services de réanimation repartir tranquillement vers la saturation, le nombre de morts rebondir.

Nous le disions : ceux qui ne craignent rien vont refiler le virus à leurs parents, grands-parents, voisins, amis obèses ou diabétiques, ou juste à quelqu’un qui ne le supportera pas, sans fragilité spécifique, peut-être à cause de la stupide génétique. 


Rien n’y a fait. Tout était prévu et tout arrive comme prévu.


Il faut se rendre à l’évidence, donc, il y a une population qui ne se sent pas concernée : ceux qui ne développent presque pas de symptômes, ceux qui ont peu de risques d’avoir plus qu’une grippe.

Ceux-là, il faut se le dire, qu’on le comprenne ou qu’on le déplore, on ne peut compter sur eux. Ils sont dans le refus, le déni, la bravoure ou la provocation. Ils sont dans la lassitude aussi, le ras-le-bol et la renonciation.

Qu’ils soient indifférents ou révoltés, qu’importe. On ne peut compter sur eux.


Et pour cause : Emmanuel Macron les a encouragés à vivre la situation ainsi

Il a fait le choix de préserver leur vie, leur mode de vie pour compenser peut-être d’une part la rigueur du confinement et d’autre part leur avenir réellement assombri par la catastrophe économique.


Nous étions nombreux, simples citoyens comme moi avec juste des yeux pour voir, mais surtout médecins, épidémiologistes, à alerter dès le mois de juin de ce qui allait arriver. 


Le gouvernement n’a pas pu ne pas entendre, n’a pas pu ne pas étudier les modèles et les projections. Ils ont fait un choix. Je pense que Macron a fait un choix : il faut laisser vivre et surtout la jeunesse, laisser se dérouler les vacances après le confinement.

Et quand certains lui disaient : la rentrée va être terrible, il répondait probablement : alors préparons-nous mais vivons. Laissons-les vivre, nous, eux, les asymptomatiques, les forces vives de la nation. Laissons vivre la société (c’est ce que dit Trump au fond) et naviguons entre ces deux contraintes : préserver au maximum la vie économique et sociale et sauver les meubles sanitaires. Nous mourrions tous d’un second confinement.


Comment blâmer la jeunesse de suivre ce choix et de ne pas se discipliner ? Elle est encouragée à le faire, elle est même quasiment sommée de le faire. 


Il faut se rendre à l’évidence, sauf à fermer tous les bars et tous les restaurants dans toutes les grandes villes, sauf à interdire les réunions de famille ou d’amis dans le privé (ce que fait l’Allemagne très en amont d’une seconde vague, autre choix), donc sauf à avoir le courage d’affronter les colères et la mauvaise foi, il faut lutter contre cette épidémie sans la collaboration de ceux qui ne risquent pas grand-chose.


Encore en ce moment des fêtes, des anniversaires en intérieur s’organisent à tout va, des bars-restaurants ne parviennent pas à faire respecter les règles.

On aura mis les moyens, discours, masques, tests… C’est la réalité d’aujourd’hui. Aucune campagne de communication, bonne ou mauvaise, ne semble pouvoir la changer. 


Alors je suppose qu’il faut organiser la société différemment.

Il faut protéger les uns en renonçant à la contribution des autres. 


Se protéger tout seul, se prendre en charge, refuser les visites tout seuls, porter et payer des masques (il faudrait distribuer gratuitement des N95), être en télétravail tout seuls, se démerder tout seuls.  


Emmanuel Macron a fait le choix de nous faire vivre séparément pour préserver l’économie et l’avenir. Toutes ces incertitudes, ces confusions, cette navigation à vue en sont les conséquences. 


La société solidaire a fait son temps. C’était celui du confinement. Celui où on sortait sur nos balcons pour applaudir le personnel soignant. Ce temps-là est révolu. On estime qu’il a coûté trop cher. C’est peut-être vrai.

Deux sociétés doivent maintenant cohabiter le temps de trouver un vaccin. 

Les jeunes sans les moins jeunes peut-être, les jeunes sans d’autres jeunes, les inconscients sans les inquiets, les insouciants sans les informés… 


Je traverse Paris aujourd’hui : il n’y a quasiment aucune différence entre avant et après le passage en alerte maximale. Tous les bars font restaurant aujourd’hui. Les tables sont toujours vaguement à un mètre les unes des autres, et à six places par table, souvent plus. Donc rien n’a changé. Seuls quelques bars qui ne savent même pas servir un sandwiche avec des chips ont fermé.



Il faut se préparer à ce que ça ne fléchisse pas de si tôt à Paris...

Nous payons aujourd’hui cher le ressentiment envers les élites, la défiance envers les politiques. Les unes et les autres n’ont plus aucune autorité. A qui la faute ? Aux politiques eux-mêmes ? Sûrement. Aux scientifiques ? Aux médecins ? Certainement pas.


Aujourd’hui les récalcitrants, les sceptiques, les élus démagogues, les enragés populistes partagent la responsabilité de l'accélaration épidémique avec ce gouvernement qui a peur de son ombre, incapable d’imposer une mesure sans la renier dès le lendemain. Aucune fermeté. Aucune autorité. 

Tous sont responsables : maires politicards, élus calculateurs et sans noblesse, scientifiques de plateau ivres de notoriété facile, journalistes démissionnaires, artistes et intellectuels qui versent de la poésie, des slogans et de la littérature sur le corps des malades et des morts.






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