23 mai 2011

Ethique (Un deuil violent - 4)

Sommes nous des juges ?
Nous aimerions l’être, à n’en pas douter. Nous aimerions connaître les faits, entendre les témoins et en finir une bonne fois pour toutes : déclarer DSK coupable ou au contraire l’acquitter, l’innocenter, le blanchir.
L’incertitude nous pèse. Nous ne pouvons nous révolter réellement, nous sommes là appendus à la moindre rumeur, le moindre bout d’information, pris dans les filets de la communication de l’accusation, frustrés de ne pouvoir entendre la défense, englués dans les débats que nous imposent les médias.
Nous ne pouvons savoir qu’en penser et nous errons alors d’une hypothèse à l’autre, chaque hypothèse ouvrant sur un monde différent. Le trouble est à la mesure de cette insaisissabilité du sens de l’événement. Nous ne savons pas dans quel monde nous vivons. Est-ce le monde où DSK est coupable ? Ou est-ce celui où il est innocent ? Et coupable de quoi exactement ? Innocent de quoi ?

En quoi cela nous regarde-t-il finalement ? Que DSK soit un terrible pervers, un fou, un homme qui a un instant perdu la raison, une victime de sa maladresse, d’un piège improvisé, d’une machination, qu’avons-nous à y voir ?
C’est que nous sommes impliqués dans cette affaire et donc dans les mondes qui en dépendent.
DSK était probablement celui pour qui nous allions voter ou que nous allions combattre. Il était celui qui nous mobilisait et dont tout le monde, partisans ou adversaires, pouvait espérer, craindre ou simplement imaginer qu’il devienne le prochain président de la république française.
DSK n’est pas un homme politique comme les autres. DSK c’est nous qui l’avons fait.

Car ce n’est évidemment pas la pauvre créature humaine DSK qui est en cause. Celle-là, nous la savons aussi misérable que chacun de nous ou même de la femme de chambre, capable du meilleur comme du pire, névrosée, angoissée, et mortelle. Une créature humaine avec laquelle la justice humaine devra se débrouiller, américaine ou non, pour savoir quoi faire de ce que les hommes se font.
Le DSK qui nous intéresse - pour nous avoir convoqué dans son destin - c’est celui que nous avons fait et que nous sommes.
SI cette affaire nous arraisonne tant c’est parce que c’est nous qui étions dans la chambre d’hôtel et nous aimerions bien savoir ce que nous y avons fait. Nous aimerions bien savoir quelle est finalement notre propre responsabilité. Responsabilité d’électeur, de citoyen donc mais d’homme (au sens de mâle) aussi, et même de femme.

Car le mâle humain était aussi dans cette chambre d’hôtel à travers DSK et il attend fébrile de savoir ce que le pouvoir lui fait, s’il doit une nouvelle fois se couvrir de la honte d’être un barbare. Il veut savoir si réellement une pauvre pulsion prend les rênes de l’âme contre l’éducation, l’instruction, la morale, l’ambition, un prestigieux destin. Oui, le mâle humain voudrait savoir ce qu’il est et à quoi il doit s’en tenir ici.
Les femmes étaient dans la chambre également. Les femmes qui ont côtoyé DSK, qui l’ont séduit, qu’il a séduites, celles qui ont fantasmé sur lui (comme les hommes d’ailleurs), celles qui se révoltent contre le harcèlement, comme celles qui s’y résignent. Elles veulent savoir également car c’est d’elles dont on parle aussi. DSK c’est elles aussi car elles l’ont fait aussi.
Les citoyens et électeurs étaient dans la chambre avec les autres et ils veulent savoir à quel point ils sont humiliés d’avoir participé soit à l’ignominie soit aujourd’hui à la curée. Car si DSK est innocent, tous ceux qui étaient dans la chambre avec lui vont devoir affronter une nouvelle culpabilité. Celle de n’avoir pas attendu avant de penser.

Oui nous aimerions juger et en finir.
Mais c’est notre destin, finalement, de ne jamais savoir et de devoir décider dans le noir de ce que nous sommes.
Notre réaction aujourd’hui, ce que nous disons, notre précipitation ou notre attente, notre prudence ou nos affirmations, nous en serons comptables un jour.
Ce qui se joue maintenant, avant le jugement, avant de savoir dans quel monde nous vivons et qui nous sommes, c’est notre éthique.

1 commentaire:

  1. Je viens enfin de réussir à prendre un peu de temps pour lire vos articles, et je les trouve vraiment très intelligent. Cela soulage de ne plus voir le flot incessant des accusateurs ou des défenseurs qui se jettent sur les miettes sans savoir. C'est reposant de lire des articles qui ne cherchent pas à tout prix à connaître le moindre fait, mais s'attachent aux tenants et aboutissants des informations, aux véritables enjeux de l'affaire DSK. Enfin, c'est rassurant de lire un article dont l'auteur ne s'érige pas en juge, mais où il interroge simplement sa propre nature, notre nature.
    Alors merci pour ces quelques articles qui nous aident à prendre du recul et évoquent les vraies questions.

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