23 mars 2012

Les trois jouissances du terroriste



Le terrorisme a trois objectifs : sidérer une société, contraindre une démocratie, imposer sa plainte et son existence.
La sidération d’une société passe par l’analyse de ses tabous les plus profonds. L’action terroriste, d’une certaine manière, révèle, en les attaquant, les tabous qui cimentent un peuple. A quoi servirait-il de tuer des enfants dans un pays qui, par exemple, les mettraient déjà en esclavage ?
Le terrorisme nous révèle donc les tabous qui nous agissent, nos intouchables fondamentaux : l’innocence, l’enfance, le corps, la vie.
A chaque époque ses tabous. A chaque époque son terrorisme.
Nous sommes attachés à la notion d’innocence ? Tuons des innocents. Nous chérissons plus que tout nos enfants, les innocents par excellence ? Tuons les enfants. Nous tenons à l’intégrité de notre corps ? Explosons les corps, déchiquetons les, découpons les. La préservation de la vie est une de nos valeurs les plus importantes ? Nous cherchons à la prolonger, la protéger, l’améliorer ? Suicidons, montrons que la vie n’est rien.
Le terrorisme est donc l’ennemi absolu d’une société, il attaque ce qui fait son fondement  en cherchant ainsi à la sidérer.
Nous restons sans voix devant ce que le terroriste de Toulouse a fait. Notre sidération a été sa première jouissance.

Le terrorisme a des buts politiques. Il veut obtenir des résultats : libérer des prisonniers, évacuer des territoires, etc. Pour cela il terrorise la population en la sidérant (comment terroriser un dictateur ?) afin qu’elle fasse pression sur ses dirigeants, marquer l’opinion publique afin que ses représentants en tiennent compte.
Le terroriste veut soumettre la démocratie. Il veut pouvoir s’enorgueillir de l’avoir influencée. Lui, tout seul, avec ses armes et sa barbarie personnelle.
Que les sondages relatifs à l’élection présidentielle soient substantiellement modifiés, que les débats soient influencés, et le terroriste de Toulouse pourra dire « mission accomplie ». La France est à ses genoux. La démocratie est à ses pieds.
Entendre Coppé, le porte-flingue de Sarkozy, pitbuller l’opposition, voir Sarkozy, le visage grave et les trémolos dans la voix, se retenir, surtout se retenir ! d’exprimer une quelconque satisfaction de trouver enfin ici l’événement qui lui manquait pour faire oublier son bilan, bref, influer sur le processus démocratique engagé aujourd’hui en France a été la seconde jouissance du terroriste de Toulouse, avec l’assentiment de tous ceux qui en ont bénéficié.
La langue de bois hurlera le contraire. Qui en sera dupe ?

La troisième jouissance du terroriste est la pire à mes yeux.
La jouissance de la sidération, on ne peut rien y faire. Toute société se fonde sur ses interdits. Il est donc de l’essence d’une société d’être susceptibles d’être choquée, sidérée, terrorisée. 
La jouissance de soumettre une démocratie n’est pas toujours acquise. Si les dirigeants sont assez nobles, assez dignes, bref, si ce sont de vrais hommes d’Etat, le terroriste a peu de chance de les influencer. Il faut du courage et de la force de caractère, ce qui n’est pas le cas du président sortant. Mais on peut imaginer que le respect de la démocratie et de la République l’emporte chez d’autres.

Les trente heures accordées au terroriste de Toulouse n’ont pas eu pour but de le prendre vivant ou de permettre à ce que la société connaisse la vérité sur ses actes. C’est ridicule. On sait quelle tribune offre un procès à des fous comme ça. Il faut se rappeler le procès de Carlos, ou même d’un criminel comme celui du gang des barbares.
Non pas que ce type n’ait pas droit à un procès, mais le fait d’avoir tant attendu pour l’arrêter a coûté cher au regard des bénéfices espérés.
Car que s’est-il passé pendant ces trente heures qui ont été finalement trente heures de jouissance du terroriste ? Trente heure de spectacle, mis en scène par le pouvoir et le pouvoir seul.
Résultat : Le terroriste est devenu un proche. On connait son nom et son prénom, on l’a suivi pendant tout ce temps. Il est mort « les armes à la main », il a sidéré le RAID, bref…
Trente heures pour en faire un héros, qu’on le veuille ou non, pour en faire le personnage principal incarné d’un feuilleton.
Que ne connaît-on aussi bien les enfants qui sont tombés sous ses balles…

La troisième jouissance du terroriste est celle d’exister, exister mieux et plus que les autres, mieux et plus que ses victimes ou que les gens qu’il sidère. Et là, les complices sont évidents : les médias et le pouvoir.
Les médias l’ont fait exister car dans un spectacle, celui qu’on « adore haïr », c’est le méchant. Quand le méchant existe, le spectacle est bon. Les médias sont consubstantiels à cette jouissance du terroriste. Ils n’ont aucune morale et aucune réflexion éthique. Nous vivons de ce point de vue dans un monde bien crade.
Mais qu’on ne vienne pas me dire que le pouvoir fragilisé dans la campagne électorale, n’a pas fait le calcul de ce temps de médiatisation justement pour se mettre en scène lui-même et dramatiser le spectacle au maximum.
Le « gentil » n’est jamais aussi bien servi que par un bon méchant. Aucun bon film, aucune bonne histoire si le méchant n’est pas à la hauteur. Et ça sert aussi bien le vrai héros de l’histoire.
Le pouvoir avait besoin de temps pour bien imprimer son action. Tuer le terroriste trop vite aurait été trop expéditif, donc sans bénéfice, médiatiquement parlant.

Cette jouissance d’exister, d’imposer sa plainte, et somme toute son humanité – car, nom et prénom à l’appui, historique personnel, anecdotes et même photographies souriantes ! sont bien les signes de l’humanité dans nos livres d’images – cette jouissance n’a été permise et autorisée que par les médias qui ne savent plus depuis longtemps comment se comporter, et aussi par le pouvoir qui a tellement peur de perdre !

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