17 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 3

Le bout du tunnel.
Vendredi prochain, troisième projection du film.
Les dix jours qui ont suivi la dernière projection ont été tendus, douloureux, angoissants. Nous devions nous remettre en cause, remettre en question la plupart de nos choix, comprendre pourquoi certaines scènes ne fonctionnaient pas et comment les modifier en conséquence.
Ce qui est certain c'est qu'il fallait aborder le film autrement, cesser de l'admirer, de le cajôler. Il fallait lui faire violence sans pour autant abandonner ce qui nous plaisait, ce qui pour nous faisait son âme.
Semaine intense, difficile. Nous faisions face à des énigmes et des impasses. Le film nous a résisté terriblement. La matière nous a nargué.
Il m'a été nécessaire de comprendre, de mieux analyser les raisons qui expliquent l'écart entre un scénario et un film. Pourquoi une scène qui fonctionne à la lecture ne fonctionne plus du tout une fois filmée et montée. En tenant évidemment compte de l'aveuglement, du manque de recul qui peut nous faire perdre confiance. Revenir au scénario a été un des mouvements alors même qu'il fallait dans le même temps accepter ce qui ne marchait pas et donc parfois réécrire le scénario.
Réécrire le scénario quand le filmage n'a pas été conçu pour ça. Faire dire autre chose à la scène contre le filmage lui-même, contre le jeu des acteurs, au prix d'un appauvrissement de la mise en scène.
Moments douloureux, stressants.
Il y a plusieurs raisons au décalage entre le script et le film pour une scène donnée.
D'abord il y a le ratage de mise en scène. Mauvais filmage, que ce soit par manque de temps ou par manque d'inspiration. On n'a pas la matière pour dire les choses au mieux. Alors on contourne, on triche, on cache la misère. Mauvaise direction d'acteur. Ils ont été si dociles, si ouverts ! Et je les ai parfois mené là où il ne fallait pas, manqué de leur dire ce qu'il fallait.
Les acteurs peuvent parfois être en-dessous de ce qu'on pouvait espérer. Alors on fait au mieux, on contourne, on arrange, on masque, on répare, on rustine.
Et puis il y a la différence fondamentale entre le rythme de la lecture et celui de la vision. On lit mal les scénarios. Il faudrait à chaque scène fermer les yeux et se projeter le film à venir. Ce qui a l'air de passer si bien devient une punition une fois filmé. Parce que ça va plus vite. Parce qu'on a devant soi la chose même qui défile concrètement. Parce qu'il faut subir le temps au lieu de l'imaginer.
La logique cinématographique n'est pas littéraire. La transposition dans l'espace cinématographique réserve de bonnes et de mauvaises surprises. Je pense depuis longtemps qu'un scénario est la description d'un film à venir. Il faut l'écrire puis le lire comme ça. Mais la lecture a sa propre logique. L'écriture s'appuie sur ses effets propres qui ne sont pas ceux du cinéma. Ne jamais l'oublier quand on écrit. Ne jamais l'oublier quand on lit.
C'est une phase du montage bien connue. Il ne faut pas le prendre personnellement. Elle est absolument inévitable. C'est aussi le moment où l'on ne voit plus ce qui est réussi, où cela va sans dire et donc on ne le dit plus et on ne vous parle plus de ce qui ne marche pas. Etape dépressive.
Mais quels bonheur quand enfin, à force de nuits blanches, de cogitation anxieuse, on trouve les solutions pour rendre le film à lui même par et malgré les images.
Il n'y avait pas de raison de douter. Le scénario était solide et apprécié. Les acteurs ont élevé leurs personnages au-dessus de ce qui était écrit. Ils leur ont donné corps, les ont rendu touchants, intéressants, forts, fascinants, beaux.
Alors il fallait être à la hauteur et travailler la matière jusqu'à ce qu'elle rende ce qu'elle avait de plus précieux. Il fallait refuser qu'elle fasse la loi, parfois en lui faisant violence, parfois en étant diplomate avec elle, d'autres fois en acceptant simplement ce qu'elle était et en faisant le deuil de ce qu'on aurait voulu qu'elle soit.
Le bout du tunnel oui. Aujourd'hui je souffle et je tremble encore de cette bataille.
Vendredi on en saura un peu plus. Je ne crains plus les mauvaises surprises. Je pense qu'à l'issue de cette projection on pourra se dire que tout ce qui se fera ensuite sera du plus et non du moins, servira à faire briller l'objet et non plus à le modeler ou le réparer.
Le film est là. Il a déposé les armes et il s'est rendu. Il ne restera plus qu'à lui ajouter les milles petites choses, les milles petits détails qui feront l'excellence de sa finition.
La phase de combat est terminée.
C'est ce que je pense aujourd'hui. Espérons que ça dure un peu. Rien n'est acquis.

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