22 octobre 2012

Möbius Journal de Post Prod 4

Ça n'a pas duré.
En fait on arrive à un moment où je voudrais que ce soit fini.
Je rêverais qu'on projette le film et que ceux qui le "visionnent" (en général les producteurs, les co-producteurs et quelques intervenants dans la post prod) me disent : "c'est fini. Bravo. On part comme ça."
Mais non, à chaque fois on me dit : "c'est une bombe mais ce n'est pas fini" ou "C'est énorme mais il n'y a pas encore le film".
Et à l'issue de la projection, difficile de savoir pourquoi le film n'est pas encore là. On vous donne les raisons et vous les croyez à peine, elles sont en général toute fausses. On se demande même si le sentiment lui-même (que le le film n'est pas là) n'est pas faux, induit par l'angoisse du producteur, ou son fantasme de producteur (celui qui sait).

J'aimerais tellement que le film soit un chef-d'œuvre dès, disons, le second montage. Allez, on en fait un premier, on travaille un peu et hop ! C'est fini. C'est mon rêve sur chaque film. Comme d'ailleurs sur le scénario. C'est également le même processus. On me dit à chaque version ; "C'est beaucoup mieux, formidable, mais ce n'est pas encore là." Et moi à chaque version, j'espère, je prie pour que ce soit la dernière.
Bon, un chef-d'œuvre, peut-être pas, mais un bon film quoi, un truc bien.

Et je suis dans un  état d'énervement maximum. Je les hais tous. Je ne leur reconnais pas le droit de me parler. C'est eux qui ont écrit pendant cinq ans ? Non, ils n'ont fait que lire et juger. C'est eux qui ont tourné ? Non, ils sont venus visiter le plateau, vu les rushes et fait leurs commentaires, qui sur le maquillage, qui sur le rythme du jeu. Ils ont produit le film, oui. Et alors, d'où me parlent ils ? De quel film produit me parlent-ils ? Que le Claude Berri de "Tess" vienne me parler, oui j' écouterai. Que le producteur de "Van Gogh" vienne me parler, mais eux, ils ont fait quoi pour me dire que le film n'est pas là ? Hein ?

A ce stade, je voudrais qu'on me dise que c'est bien (je crois que c'est bien); on ne me le dit pas assez. je voudrais qu'on me dise ce qui est bien, pourquoi c'est bien. Mais non, on ne me parle que de ce qui ne marche toujours pas. En quel nom ? Selon quel critère ? Le critère de ton oeil acéré de spectateur ? Ta surprenante faculté d'oublier que tu es dans le coup toi aussi ? Ta cinéphile exemplaire ? Ton "nez" infaillible ?
Je ne supporte aucune critique. Je prends tout mal. En fait pas tout, certaines sont judicieuses et comme par hasard elles sont toutes venues de JD. Mais les autres, je ne les comprends pas. Elles sonnent comme un manque de respect. Chaque mot qu'on me destine est un manque de respect. Et s'ils ont du respect, alors ils ne savent pas du tout l'exprimer. Les gens ne savent plus se comporter.

Et je sais parfaitement que cette phase est normale, habituelle, voire banale. Que les producteurs font leur job.
Que voulez-vous qu'ils me disent si ce n'est ce qu'ils ressentent ? Et moi ? Ce que je ressens n'est pas plus pertinent ? Pourquoi ce qu'ils ressentent serait plus juste ?
On ne fait pas un film tout seul. Mais là je ne supporte plus les autres. Ceux qui me disent que le film n'est pas terminé. Parce que j'aimerais tellement qu'il le soit. Je vais me mettre à le détester tellement il n'est pas terminé.
Je suis fatigué, c'est vrai. Pas pris de vacances depuis le début de la préparation. Pas fait de pause après le tournage. Ça se paie maintenant.

Je ne supporte pas l'autre en général, celui à qui je montre le film. Il est un ennemi s'il ne me dit pas que c'est génial. Il a une "petite gêne", ce con ? Qu'il aille se faire foutre; il n'y connait rien, il ne parle que de lui, je m'en fous de sa gêne, qu'il s'étrangle avec. Ce sont mes gênes qui comptent pas les leurs. Je suis le mieux placé et non pas le moins bien. Ce qu'ils voudraient me faire croire.
Pourquoi, à l'issue des projections, ne me demande-t-on pas tout simplement ce que je compte faire, ce qui ne me plaît pas encore, ce que je veux améliorer ? Pourquoi ne fait-on pas confiance à ce que je ressens moi avant toute chose ?
Etrange étape...

Pourtant je sais parfaitement quelle doit être ma démarche positive : l'écoute flottante. Ecouter vaguement tout ce qui se dit, ne rien retenir de spécial, ne croire aucune remarque en particulier mais être attentif à l'écho que ça provoque en soi. Voir si dans ce qui se dit nos propres réserves ne se confirment pas. Quelques fois on apprend quelque chose sur ce qu'on a fait. Mais c'est comme une illumination. On ne l'avait pas vu mais maintenant que c'est dit c'est évident. Ne retenir que l'évidence...

Voilà, attendre juste que ça fasse mouche dans le maelström de remarques qu'on me fait, toutes plus désobligeantes les unes que les autres. Passer sur l'ineptie et la vulgarité de ce que j'entends. Nous en servir, nous en inspirer pour tracer la voie qui est la notre. Notre voie. Pas la leur.
Piller dans les discours discourtois ce qui est bon pour le film selon notre vision à nous.

Cette semaine on retravaille encore, encore et toujours. On a vu des trucs à faire, à régler, à améliorer, on va essayer de contenter tout le monde. Faire en sorte que nos propres solutions règlent les problèmes des autres. Mes ennemis du moment.

Très très négatif, je sais. Exténué. Envie d'être méchant.
C'est une phase de la post-production.
J'espère que ça ne va pas durer... Ce n'est pas bien.

2 commentaires:

  1. A lire ce post, en fait, on découvre que la légitimité à plusieurs sources aujourd'hui. Les racines d'une légitimité sont parfois saines et pures. Je réalise, je suis légitime.
    Parfois c'est un pragmatisme presque vulgaire qui légitime quelqu'un dans son action, en l'occurrence, commenter la réalisation d'un film. C'est sans doute un phénomène qui caractérise notre époque. On se fout de l'origine d'une légitimité tant qu'elle est assumée de manière transparente, décomplexée. L'argent est devenue une source de légitimité. Et je pense que c'est sain de s'énerver contre ce phénomène. "Ce n'est pas bien", mais c'est sain. lol

    bon courage.

    RépondreSupprimer
  2. J11 faire un film c'est lutter sans cesse contre la dégradation par rapport à l'idée originale. Le script peut déjà en faire partie
    ensuite le tournage peut dégrader le script, le montage puis le mixage.
    Faire que chaque étape soit un + et pas un - E.R
    ds

    RépondreSupprimer