16 décembre 2018

La réforme et la révolution


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La chute du parti socialiste français a fait disparaître la gauche réformiste du paysage politique.
La victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017 a rendu pour un temps la droite inaudible.
Le mouvement « dégagiste » qui a mis les populistes de droite ou d'extrême droite au pouvoir un peu partout dans le monde avait favorisé en France la proposition libérale et centriste de Macron.

Preuve encore que la France n'a jamais été libérale, n'en déplaise à ceux qui voudraient trouver une excuse à leur radicalité en s'inventant un ennemi utile.
En effet le libéralisme a longtemps été défendu par Alain Madelin qui finalement n'a jamais été écouté, ni par Chirac, ni par Sarkozy.

C'est bien pourquoi la proposition libérale de Macron faisait figure de nouveauté. Et puisque personne n'y arrivait (à réduire le chômage, à relancer l'économie française), pourquoi ne pas essayer ces solutions jamais vraiment mises en œuvre (bien qu’esquissées par Sarkozy et Hollande).
Cette victoire qui a laminé les opposants réformistes a eu l'effet pervers d'attirer toute alternative dans le trou noir idéologique de Macron. On ne pouvait se démarquer de lui qu'à s'en éloigner fortement... aux extrêmes.

C'était tout le danger de cette victoire : favoriser et donc affaiblir deux extrêmes antagonistes et paralyser toute alternative réformiste.
C'est bien le même type de vent qui a permis la victoire de Macron qui aujourd'hui lui souffle très fort dans la figure, même s'il n'est pas porté par les mêmes personnes. Aujourd'hui, ce sont des électeurs du RN, de LFI et les abstentionnistes qui sont semble-t-il sur les barrages en gilet jaune, ce qui ne retire rien à l'expression de leur colère.
Je ne parle pas ici des excités, des professionnels de la casse, des complotistes notoires, qui se sont mêlés à eux, comme ils viennent toujours rôder là où ça sent le chaos.

Ce qui est étrange c'est de voir qu'à la réforme mise en œuvre par Macron on n'oppose aujourd'hui que la révolution. Or on ne peut contester la pertinence d'une proposition au nom de ce qu'il faudrait justement n’en faire aucune mais plutôt procéder à un changement radical.
Il est tout à fait légitime de refuser d'améliorer le système et de vouloir plutôt le changer. Je ne dis donc pas que la position révolutionnaire n'a pas de sens. Je dis juste qu'elle ne peut faire dialogue. 

La proposition révolutionnaire des insoumis ou du RN (oui je les mets côte à côte quand ils peuvent sembler dos à dos, mais enfin, ils sont bien côte à côte derrière les gilets jaunes) ne peut faire dialogue (ça n'est d'ailleurs par leur but). 
Comme les réseaux sociaux sont justement le lieu de l'exclusion du dialogue mais plutôt le lieu de l'invective, il est normal que les propositions radicales y trouvent leur compte.

Et pourtant, les propositions des opposants populistes français ne sont viables qu'à condition d'enfermer la France sur elle-même, de refuser les paramètres internationaux, de casser des traités... Les solutions qu'elles proposent exigent de négocier avec les voisins et de s'extraire du monde tel qu'il est aujourd'hui

Négocier avec les voisins... on voit ce qu'il en est avec Theresa May et le Brexit. Voilà bien l’illustration de ce que la proposition populiste est une escroquerie politique.

Ces solutions ne peuvent être mises en œuvre qu'à des conditions dont on ne voit pas aujourd'hui comment elles pourraient être remplies.
Et si ces conditions étaient un jour réalisées, cela signifierait que le monde est devenu un ensemble de nations emmaillotées les unes contre les autres, situation propice à la misère d'abord et à la guerre ensuite. 
Il n'empêche que ces oppositions guettent la moindre situation de révolte, pour pousser leur avantage. Le mouvement des gilets jaunes, par manque d'expérience politique et méfiance radicale envers toute forme de représentation séduit tous ceux qui par définition excluent le dialogue.

Où est la gauche qui, elle, dialoguait ? Pourquoi a-t-elle disparu ?
Je pense que depuis Maastricht et finalement la confirmation que le monde se globalisait, la gauche réformiste n'a pas réussi à se repenser, à repenser une transformation de la société, à imaginer des structures sociales plus justes au sein d'un monde qui avait choisi et verrouillé, après la chute du communisme, le système de l'économie de marché.

Aujourd'hui, la globalisation rend impossible la remise en cause de ce système, impossible la « démondialisation » pour reprendre une ineptie proposée il y a quelques années par un des ténors de cette gauche en errance.

Le libéralisme a longtemps semblé être la seule solution au problème du chômage et de la croissance. Mais il éloigne l'homme de lui-même. Il répond probablement très bien à des problèmes globaux et structurels mais au prix d'écraser ce qui est à taille humaine. Le libéralisme favorise et massifie l'accès aux biens de consommation, au prix de la qualité des produits, de la qualité de vie, parfois au prix du chômage (on peut acheter les biens à bas prix mais ils sont produits à l'étranger).
Il propose des solutions à l'enrichissement global des nations mais laisse de plus en plus de gens hors du mouvement et les coupe de toute perspectives d'amélioration de leurs conditions.
Le libéralisme a cette tendance à isoler l'homme de ce qui est à sa mesure.

Le mouvement des gilets jaunes s’inscrit dans un mouvement global qui a porté les populistes comme Trump ou Bolsonaro au pouvoir.
Je pense que Macron a bénéficié de ce mouvement. Le contexte particulier de la France a voulu qu’on essaie d’abord au centre avant d’essayer aux extrêmes.
Mais c’était probablement être trop optimiste devant les effets ravageurs des deux révolutions qu’on a connues en quinze ans : Internet puis l’intelligence artificielle.
Ces deux révolutions ne peuvent être suivies que par les mieux préparés et les plus souples socialement. Elles rendent encore plus impossible la perspective de s’en sortir pour ceux qui n’ont pas les moyens de les accompagner.
Elles rendent impossibles une vision optimiste de son avenir et de ce celui de ses enfants.
C’est la réalité de cette impossibilité qui je pense explique le mieux la fureur de ces mouvements de foule. Une vraie désespérance devant l’avenir poussent certains à vouloir tout balayer.

Comme le dit Taubira la gauche a une terrible responsabilité devant cette désespérance. C’est elle qui devait la prendre en charge. Mais Taubira est dans l’incantation. Elle ne propose rien, n’ose rien. C’est tout le problème des leaders actuels de la gauche qui dialogue. Ils n’ont strictement plus rien à dire. Ils laissent la place à la gauche qui ne dialogue pas. Celle qui ne vous accuse plus d’avoir tort mais vous demande d’avoir honte.

Macron doit comprendre cette réalité, il doit y trouver une réponse. Il doit trouver le moyen d’assortir sa proposition initiale d’une prise en charge sociale de ceux qui ne peuvent pas prendre le train des changements monstrueux de notre monde et qui n’ont aucune chance de remonter dedans. Il doit avoir cette intelligence, le temps que la gauche se réveille et avant que l’extrême droite ne vienne appliquer son programme fantasmatique.




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