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8 décembre, 13h30
A Paris, autour des Champs Élysées, des gilets jaunes, venus
de province, en petits groupes, jeunes et vieux, femmes et hommes, cherchent à se rassembler
quelque part pour se compter, pour compter.
La police a bien préparé ce samedi, contrairement au
précédent, et les violences inédites de la semaine passées ont l’air de circonscrire la détermination de chacun.
C’est plutôt calme à 13h30. On entend dire que ça canarde boulevard Haussmann.
Les gilets jaunes veulent aller où « ça ne gaze pas ».
Un père inconscient promène son enfant sur les épaules.
A ces gilets jaunes se mêlent des jeunes et vieux activistes
dont certains vaguement marginaux qui croient non pas au grand soir mais du
moins à une démonstration de force révolutionnaire. Ils sont manifestement d’extrême
droite ou d’extrême gauche, et semblent rompus aux batailles contre la police. On
brandit un drapeau du Che, on distribue des tracts contre le capitalisme et les
gauchistes (sic).
Se mêlent à eux des « casseurs », vêtus de noir,
casques accrochés à la ceinture, sac à dos bien remplis. Pour l’instant ils ne
passeront pas les barrages. Ils attendent leur heure.
Quelques jeunes voyous trainent aussi dans les environs.
A 16h, à Paris, il semble que leur heure soit arrivée…
Mélange hétéroclite : Aux premiers gilets jaunes qui
débarquent dans l’action politique à partir d'un cri de colère sont venus s’agréger les professionnels de
la révolution, de tout bord. Ils ne se tapent pas dessus. Ils ont compris qu’il
y a ici une vraie opportunité de chaos. Et au chaos peuvent succéder les
leaders dont ils se sentent proches.
C’est ça le mouvement des gilets jaunes à Paris.
On s’offusque du dispositif policier, on ne comprend pas
pourquoi ça gaze alors que manifestement la moitié des gens ici sont là pour en
découdre, pour faire basculer la société et non pour telle ou telle revendication.
Ils sont là pour l’affrontement. Non pas contre la taxe carbone, mais pour un
changement de régime, pour faire tomber cette société pourrie. Pour la
remplacer par quoi ? C’est là qu’ils ne seront pas d’accord entre eux.
Ajoutez à ça l’effet des réseaux sociaux, amplificateurs de
la rage, les médias et les chaines d’info en continu, dramatisant tout ce qui bouge,
faisant passer le moindre cri du cœur en slogan politique, le moindre regroupement en foule
exaltée. Ceux-là mêmes qui ont encensé Macron parce que c’était événementiel
maintenant se délectent de sa chute possible, parce que ça l’est tout autant.
Ils adoreront le voir se relever si c’est possible. C’est du story-telling et
maintenant l’info c’est ça. Ça doit ressembler à la fiction sinon ça ne vaut
rien. Il faut concurrencer l’émotion immédiate des réseaux sociaux.
Ajoutez à ça des opposants laminés par le dégagisme de
Macron, qui ne sont plus audibles et donc ne peuvent plus donner voix à la
révolte. Ils ne savent plus quoi proposer, ils ne pensent aucune réforme mais
uniquement des révolutions, et ils cherchent à prendre leur revanche sur leurs défaites.
Ah ! si les élections pouvaient ne pas avoir eu lieu ! Si Macron
pouvait se démettre, si on pouvait avoir une nouvelle chance avant les cinq ans
prévus ! Si la démocratie pouvait ainsi être remise en cause dès qu'elle ne nous avantage pas !
Ajoutez à ça le manque de résultat de la politique de
Macron, sa trop grande assurance, qui l’a empêché de voir puis de considérer le
premier mouvement à sa juste valeur. Les impôts devaient baisser. Ça ne s’est
pas produit. Le chômage devait baisser, ça n’est pas encore flagrant, la
croissance, surtout, devait remonter, c’est raté.
On le juge après 18 mois de pouvoir, c’est peut-être injuste
mais c’est de bonne guerre. Il n’a pas su parler à tout le monde. Il n’a pas su
prendre rapidement la mesure de ce qui se passait. Il n'a pas su faire les choses dans le bon ordre.
Voilà ce que c’est que le mouvement des gilets jaunes.
Ils sont aujourd’hui 31000 dans toute la France dit-on.
Allez, on va monter à 50 000 et même 100 000. Pourquoi pas ?
Plusieurs milliers de professionnels de l’insurrection sont
à Paris en train de brûler voitures et poubelles.
Comparons au million de gens qui sont descendus dans la
rue après les attentats, ceux de 84 pour l’école libre, ceux de 95, ceux même
de la loi travail.
Le gouvernement devrait tomber ? Le président se
démettre ?
Au nom d’un sondage qui donne le mouvement soutenu par 70%
des français ? Sont-ils dans la rue aussi ?
C’est là qu’on touche à l’escroquerie, escroquerie
politique, escroquerie communicationnelle.
C’est l’acte II de Macron qui s’ouvre.
Il devra comprendre qu’on ne peut plus rien changer en France
si on laisse les plus fragiles sur le côté. Ça n’est plus possible parce que
maintenant il y a une parole politique qui peut les prendre en charge : Celle
des Trump, des Bolsonaro, des Salvini, des populistes de tout bord. Une parole
qui ne fait plus sens mais uniquement sensation, qui ne dit plus rien si ce n’est
la rage. Qui n’est plus limitée par la raison ni le respect. Qui ne veut plus
de limite.
Le vent de populisme se nourrit de la mondialisation et des
réseaux sociaux, du libéralisme qui a désincarné la société et de l’abandon
progressif d’un surmoi qui exigeait délicatesse et tolérance. On n’en veut
plus, on ne veut plus faire d’effort, on ne veut plus surveiller son langage,
on ne veut plus retenir sa haine.
Macron doit trouver le moyen de ne plus sacrifier personne
dans sa marche pour transformer la France et relancer son économie. Il peut trouver un nouvel équilibre sans se renier, à condition d'accepter l'Histoire, à condition de proposer un nouveau contrat économique et social. S’il ne comprend pas ça, celui qui lui succédera
sera un Bolsonaro français de gauche ou de droite.
Brillante analyse de la situation.
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