02 janvier 2019

Le Réel et la réalité



Les réseaux sociaux…
Besoin irrépressible d'expression publique. On veut parler, on veut s'exprimer. Et on veut être entendu par les autres.
Est-ce une réponse à la solitude créée par la virtualisation du monde ?
Nous sommes tous penchés sur nos portables. Nous ne regardons plus autour de nous.
Les endroits déserts se désertifient encore plus. Nous n'avons plus l’occasion ni l’opportunité de nous rencontrer physiquement. Les préposés sont remplacés par des machines, les services sont automatisés. Nous n'achetons plus à des marchands mais à des algorithmes.
Le tissu social devient cyber. La société est devenue anonyme.
Nous sommes reclus dans une solitude hors corps.

Nous avons donc besoin de sentir les autres. D’être senti par les autres. Nous avons besoin de dire des choses que les autres entendraient, liraient.
C’est une demande de reconnaissance.
Mais qu’exprime-t-on en premier ? Ce qu’on a envie de crier. Pas le temps de penser. Pas le temps de peser. Juste de crier. Et ce nouveau mode de communication qui permet l’anonymat favorise l’incivilité. On peut parler sans surmoi.
Marre du politiquement correct. Marre de faire des efforts.
Besoin de dire ma haine, ma colère, besoin d’insulter, besoin d’agresser. Besoin de me battre avec les mots. Besoin de sortir de moi. Trop enfermé dans une solitude numérique.
Besoin d’être « liké »
Besoin d’être reconnu, vu, entendu. Ça fait du bien.
Nous sommes tous devenus des petits démagogues parce qu’on a besoin d’amour.
On ne pense pas toujours ce qu’on dit. En d’autres temps on ferait attention, on se relirait. Là non. Trop besoin d’être aimé, de ne pas être seul. On crache ce qu’on veut dire.
Le cri de colère des Gilets Jaunes est parti comme ça. Pas de ça mais comme ça. 
C'est aussi une réaction à la dématérialisation.
Il faut se retrouver physiquement. Il faut se battre physiquement. Il faut bloquer, cogner. Il faut hurler sur l’autre.
Parce que le virtuel nous laisse au bord de la route. Nous n’arriverons pas à le maîtriser.

On veut quelque chose à notre mesure. Le monde numérique n'est pas aux bonnes dimensions. Les "Gafam" ne sont pas des boutiques. Il n'y a personne qui tient le magasin. Tout est surdimensionné. On a affaire à la masse. Pas à des gens.
La masse, la masse de données… grâce à cette masse énorme de clics, et de comportement, la machine nous connait mieux que nous-mêmes. Elle a accès à cette masse qui nous échappe.

On a besoin de concret. On veut des frontières physiques, on veut être protégés, se blottir derrière des murs. 
Le corps reprend ses droits.
Oui c’est une révolte d’arrière-garde. C’est une révolte contre la marche du monde.
Cette révolte est furieuse, brutale, haineuse. Parce qu’on sait bien qu’on n’arrêtera pas ce monde. 
On vote pour des gens qui sont aussi furieux, brutaux, haineux. Ils nous comprennent. Ils parlent notre langue. Ils tweetent comme nous, ils tutoient leurs adversaires comme nous. Ils haïssent comme nous. Les étrangers, les riches, les homos, les femmes. Ils nous singent parce qu'ils veulent notre vote. 

Emmanuel Macron a bien évidemment entendu cette colère, cette révolte. 
10 milliards. On dit c’est trop (pas de financement, s’en est fini de la réforme) on dit c’est trop peu (100 milliards, c'est vrai, ça aurait été mieux)
C’est énorme et trop peu, oui, en regard de la demande.
Car ça tient compte de la réalité. Pas du Réel.

Le Réel c’est l’impossible (Lacan). Ce qui échappe à la structure, à l’algorithme. La chair, le fluide. 
Le Réel c’est le corps (Lacan). Ce qui n’a pas été encarté, fiché, découpé. Ce qui n’est pas entré dans le découpage du langage.
C’est ce qui revient à la même place (Lacan). Ce qui ne bouge pas. Ce qui fait retour. Ce qui ne s’expulse pas. Ce qui n’est pas mis en mot mais revient toujours entre les mots.

Le Réel c’est ce qui se cabre contre le l’ordre, la structure. C’est le reste de chaos quand tout est bien rangé.
Le Réel c’est la guerre quand il faut faire la paix, c’est la violence quand on se maîtrise. C’est le corps qui demande à être de nouveau mis en jeu quant il est surprotégé.

Le Réel c’est : on ne se parle plus. On se frappe.
Maîtriser le Réel. C’est la civilisation, c’est l’Histoire.
Mais le Réel revient toujours.
Il est dans les stades avec la fureur des hooligans et leurs cris racistes. Il est dans la violence médiévale des djihadistes de Daech qui ne veulent pas d’un monde féminin. Il est dans les tueries de masse aux USA. 
Il est aussi dans les cris de fureur et la violence verbales des réseaux sociaux. Il les déborde.
Il est dans la colère des gens qui endossent un gilet jaune pour se reconnaître, un mouvement aussi acéphale que les réseaux sociaux, un mouvement de colère et non un mouvement politique. Un mouvement d’angoisse. Le politiser serait l'ordonner, le dénaturer. Il n'a de force qu'en tant que Réel. Il s'affaiblit dès qu'il devient réalité (politique, ordonnée).  

Le Réel c'est la déflagration.
Et plus nous sommes civilisés, maîtrisés, plus nous sommes subtils, délicats, attentionnés, respectueux, plus le réel veut revenir. Plus il reviendra là où on aura fermé les yeux. Plus le corps hurlera.

Nous érigeons des barrières contre le Réel. Nous créons des structures. Nous inventons des règles. Nous n’y pouvons rien. C’est parce que nous parlons. Le langage fait ça de nous : nous nous devons la paix. Pas la guerre. 
Le Réel existe parce qu’on parle, parce qu’on met de l’ordre dans le chaos. Le réel c’est ce qui pâtit de l'ordre. Ce qui est rejeté comme désordre.
Le Réel se sert de tout ce qu’il trouve, les idéologies qu’il peut, les populistes qu’il a sous la main, les bassesses les plus utiles.
Le Réel révèle les esclaves, les hypocrites, les lâches. Ils voudraient s’en servir pour prendre le pouvoir. 
Le rapprochement rouge-brun c'est ça. Ils se rapprochent déjà. Car ils veulent être les héros du Réel. Ça n'est pas idéologique, c'est purement politique. Ils doivent s'unir pour gagner. Alors ils trouveront un programme commun, une figure commune, incarnation du Réel.
Le Réel les balaiera avec les autres. Il les engloutira eux aussi.

Le Réel il faut en tenir compte. Il ne faut pas le dénier. Il ne faut pas l’oublier.
Emmanuel Macron affronte le Réel qui ne meurt jamais. Il dit à son gouvernement : Il y a la réalité (le déficit entre autres, la nécessité de reformer la France, de réduire le chômage - On l’a oublié celui-là?) et il y a le Réel.
Il ne faut pas jouer l’un contre l’autre.
Il as été élu pour travailler la réalité.
Il doit maintenant tenir compte du Réel. 

Alors oui il fallait que ça crie pour qu'il en tienne compte. Ceux qui n'en ont pas tenu compte ont été balayés par des démagogues qui ne dureront pas. Cameron balayé par les partisans du Brexit, Clinton par Trump, l'Italie, le Brésil.
Ils ne dureront pas parce que le Réel ne peut gouverner. 
Pour gouverner il faut la raison. C'est la réalité qui gouverne.
Le Réel, lui, il gueule, il déchire, il tue. Il déborde. Il jouit.
Le Réel c'est comme l'océan, on ne lui tourne pas le dos.
Les vœux du Président Macron, c’est ça :
Modifier la réalité sans oublier le Réel.
Répondre au Réel sans nier la réalité.
Le défi d'aujourd'hui.

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