21 janvier 2019

Notre Débat




J’entends, au sujet du Grand Débat, toutes les critiques, toutes les réserves, toutes les suspicions, toutes les rancœurs.
J’entends aussi ceux qui ne veulent rien d'autre que la démission d’Emmanuel Macron, ou éventuellement une dissolution, ou un référendum perdu qui aboutirait à la démission ou la dissolution.
Mais combien sont-ils ceux-là, qui ne seraient rassasiés que d'un départ du Président élu il y a dix-huit mois ? 84 000 chaque semaine ? 250 000 comme au plus fort de la mobilisation ? Et combien sont-ils ceux qui refusent cette issue quoi qu’il en coûte, parce que ce serait simplement un déni de démocratie ? J’en fais partie.
Combien sont-ils ? 8 000 000 ? (Les 24% de ceux qui ont voté pour lui au premier tour), 20 000 000 ? (Ceux qui ont voté pour lui au second tour) ? Le tout pondéré par le nombre de déçus ?
Pourquoi remettre son mandat en jeu ? Parce qu’une poignée de radicaux continuent à battre le pavé ? Ceux qui ne veulent pas en démordre, ceux qui ne « céderont pas », ceux qui veulent aller jusqu’au bout. Avec qui et pour faire quoi ? Avec Le Pen ? Pour Mélenchon ? Sont-ils d’accord ?
Ni Le Pen ni Mélenchon n’auraient un centimètre de légitimité s’ils venaient à gagner des élections précipitées par les événements actuels. Il suffirait alors de deux cents mille nouveaux révoltés et du "soutien" de 30% des sondés (c'est à dire 600 personnes) pour qu’on reparte à l’envers.
Tout ça n’a plus de sens. Violences et sondages valent référendum ?
Clémentine Autain qui parle de renverser le gouvernement tout en craignant que les forces de progrès n’en profitent pas... Aucun progrès à remettre en cause le suffrage universel.
Et non, les circonstances ne sont pas exceptionnelles. Nous ne sommes pas en dictature, n’en déplaise à ceux qui ne jurent que par les retournements sémantiques pour justifier leur propre radicalité. Appeler les démocrates des dictateurs, des opposants des terroristes, les juifs des nazis, : autant d’inversions pour commettre des crimes en bonne conscience.

Emmanuel Macron n’a pas à parler à ceux qui ne veulent même plus l’entendre respirer.
Il doit parler à tous les autres. Et leur dire : je sais d’où ça vient.  C’est sérieux. Assez sérieux pour que j’en prenne la mesure.
Et c’est ce qu’il fait.
Oui la mesure. Il faut le dire à ceux qui vont critiquer et qui critiquent déjà ses renoncements. Ce ne sont pas des reculades. C’est prendre la mesure de ce qu’il faut faire en urgence, avant de prendre le temps de penser.
Oui la mesure : le Grand débat, à l’issue duquel toutes les attentes sont justifiées, toutes les craintes et tous les espoirs. C’est à la mesure. Mais pas à la mesure de ceux qui sont encore dans la rue à crier sa démission ou à hurler leur haine des journalistes.
Ce n’est pas à eux que l’on doit s’adresser maintenant. Ils ne seront pas satisfaits. Ils continueront à manifester, violemment probablement, après le Débat, car Macron n’aura pas démissionné.
C’est à tous les autres. Ceux qui ont voté pour lui, ceux qui n’ont pas voté pour lui. A tous ceux qui pensent qu’il faut agir car le mouvement des Gilets Jaunes est l'expression d’un vrai malaise du siècle. Quelque chose qui a à voir avec la révolution numérique, la mondialisation, le libéralisme et la chute du communisme. Quelque chose qui a à voir avec cette nouvelle idéologie religieuse qui nous a frappé. Quelque chose qui a à voir avec la fin des petits commerces, du dimanche chômé, de la fin du sacré et le droit à tout.
Il faut être à la mesure de ça. Ça ne souffre aucun calcul politicien.

C’est quoi ce grand débat ? C’est faire parler tout le monde. C’est noyer les premières revendications, justes ou non, pertinentes ou non, dans une intelligence collective possible.
Et si ça n’est plus possible, alors tant pis.

Je comprends ceux qui ont peur de se découvrir minoritaires. Je comprends ceux qui ont peur de se faire voler l’insurrection. Je comprends aussi ceux qui ne disent rien, pas leur style, pas leur crédo, et qui voulaient juste voter aux dates prévues.
Le grand débat c’est ça : il ne s’agit plus de choisir dans une liste de personnes ou de programmes aussi diversifiée soit-elle. Il s’agir de dire quelque chose. Il s’agit, oui, de noyer ce RIC auquel je ne crois pas dans un éventuel RIC local, qui sait ? Il s’agit de noyer ce retour de l’ISF auquel je ne crois pas dans une fiscalité plus juste, qui sait ? Il s’agit de noyer cette demande contradictoire de moins d’impôt et plus de services publics dans une demande de hiérarchiser voire de choisir les dépenses, qui sait ? Il s’agit de reparler du chômage, qui sait ? Ou le contraire de tout ça, qui sait ?
Et Macron s’en sortirait ? Et alors ? Il aura pris la mesure du problème.
Non le problème n’est peut-être pas le libéralisme, ou pas celui-là, mais peut-être quand même. Et si c’est le problème, il faudra le dire lors des prochaines élections.
Non Macron ne va pas renoncer à ce qui l’a fait élire. Mais ce qui l’a fait élire doit pouvoir s’adapter à un malaise profond qui vient d’être exprimé avec fureur. Ce qui l’a fait élire doit pouvoir s’amender, et même se retourner pourquoi pas ? Car au fond, de quoi s’agit-il ? De faire avancer le pays, de le protéger, de le gouverner, pas de lui appliquer une quelconque idéologie aveugle et sourde. Je rappelle quand même qu’au début il y avait le chômage.
Il n’y a pas de chômage aux Etats-Unis. Mais il y a des travailleurs pauvres. Et avec Trump, ça ne va certainement pas s’arrêter. Il faut débattre de ça aussi. Faire payer les riches ? Lesquels ? Comment ? Combien de temps ? Pourquoi ne pas les virer directement. Ou les emprisonner ? Comment faire ? Est-ce ça la justice fiscale ? Qui sait ? 

Macron fait une pause dans les réformes. Pour écouter.
Il doit se taire maintenant et écouter.
Le Grand Débat sert à ça.
Oui il y a un risque que le Débat se passe mal. Il faut le lui dire. Ne pas attendre de lui que le Débat se passe bien. Il nous donne les outils il faut les prendre. Parler de ce qu'on veut. Nous ne sommes pas à l'école. Les thèmes ne nous sont pas imposés, ils nous sont suggérés. 
La révolution n’aura lieu que dans les urnes. Comme aux USA, comme au Brésil, comme au Royaume Uni. Pour le pire à mon sens. Mais si elle doit avoir lieu elle aura lieu.

Le Grande Débat ne satisfera aucun radical, aucun complotiste, aucun mauvais perdant de la dernière élection, aucun populiste qui croit son heure venue.
Mais il peut satisfaire tous les autres. Parce qu'il dégagera les voies d'un consensus et pourra aussi satisfaire leur sincérité et leur bonne volonté. Sincérité devant la complexité du monde, devant les injustices qui en découlent. Il pourra satisfaire leur refus du fantasme et de la haine et leur esprit républicain, par-delà leurs opinions politiques.
Nous devons participer à ce débat, nous devons refuser de nous le faire voler ou détruire. Nous devons saisir cette occasion pour qu’on ne parle pas à notre place. Ni les professionnels de la politique, ni les cyniques, ni les énervés, ni ceux qui refusent de débattre c'est à dire de faire partie d’un peuple qui se prend en main. Pas une foule, un peuple.




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