03 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 6

Les 15 dernières secondes de combat...

L'ambiance a visiblement changé.
A la dernière projection, on sentait la différence. Les gens étaient contents. Il n'y avait plus ce sentiment d'avoir un film potentiellement bien. Juste un sentiment de contentement.
"C'est très réussi", "c'est un grand film", "Le film est là", "La promesse est tenue".
Il ne faut pas plus être dupe de cette bonne impression. Je la constate juste. C'est mieux comme ça quand même.

Le montage image touche à sa fin. A chaque projection, le nombre de modifications à apporter s'amenuise. La plupart des noeuds ont été dénoués. Des solutions ont été apportées à chaque point d'accrochage. Pas partout. Il y a des endroits du film que j'ai défendus bec et ongle, autour desquels j'ai érigé une forteresse : pas touche.
Mais j'ai tenu ma ligne : l'écoute flottante.

C'est vrai que je me suis particulièrement braqué. Pas supporté la façon de me dire les choses, vu de l'irrespect dans chaque mot. Mon impatience a joué un rôle quand on me renvoyait à mon atelier en me disant : pas encore là.
C'est vrai que c'était dur et anxiogène. Mais la parade a été, comme d'habitude, la souplesse. La raideur pompe trop d'énergie. Tant qu'il est possible d'être souple c'est préférable dans la mesure où il reste encore deux mois terribles à passer, terribles au sens où je vais devoir me démultiplier.

J'ai décidé d'entendre toutes les "horreurs" qu'on me dit et d'écouter ce que ça réveille en moi pour améliorer le film comme je le vois, comme je le désire.
Mais c'est très difficile de savoir ce qu'on veut. Très. Comme si on était transparent à soi-même, comme si les sentiments qu'on pouvait avoir sur son propre film n'étaient pas mêlés, complexes voire contradictoires : plaire aux autres ? Plaire à untel ou untel ? Se satisfaire soi-même ? Admirer son propre travail ? Chercher le succès ? Chercher la reconnaissance ? Que doit-on sacrifier pour obtenir l'un ou l'autre ? L'accord parfait ne semble pas exister. Il faut faire un choix.
Qui a raison et pour aller où ?
Je ne veux pas avoir de regret. Je ne veux pas trancher aujourd'hui et me mépriser plus tard. Mais comment savoir la vérité ? Il y a là une impasse.
Le "connais toi toi-même" confirme ici son ridicule. Ecoute ton coeur, sois toi-même : autant d'absurdités. Je n'y ai jamais cru et ce n'est effectivement qu'une question de foi. On ne lit pas en soi on croit lire en soi. Combien de gens n'a-t-on pas vu se mentir à eux-même ? Sincèrement ?
Bref.

Oui j'ai décidé de faire confiance à ma propre vision et de piller ce qu'on me dit, même les choses les plus étrangères pour mettre toujours à l'épreuve mes propres convictions. Sur cette scène dont on est satisfait et qui ne passe pourtant pas, n'y-a-t-il pas quelque chose à faire pour que ce soit juste mieux ? Quoi ? Qu'importe, écoutons ce qu'on nous dit même si ce qu'on dit est faux, écoutons le et voyons si ça ne nous inspire pas une possibilité d'améliorer. Pas pour que "ça passe" auprès de ceux qui résistent. Mais pour que ce soit mieux à nos propres yeux.
Et tout le film y est passé comme ça. Il a gagné. A nos yeux et aux yeux des autres. Et l'attention était grande de ne pas nous trahir nous-même dans l'opération. De ne pas être dépossédé.
Il y a des moments où c'était sur la corde raide. Ça peut se jouer sur un plan. Un seul !
Un plan unique peut devenir l'objet d'une véritable bataille idéologique entre le film tel que je le défends dans le noir et le film qu'on voudrait que je livre au nom des intérêts supérieurs de la nation. Combat inégal. Et un seul plan peut être prétexte à une véritable fureur.
Nous avons été assez souple pour apaiser à chaque fois cette fureur sans que personne ne sorte perdant.

Sauf les endroits décrits plus haut comme étant les forteresses imprenables, celles qui sont l'affirmation du film, celles pour lesquelles je ne rendrai jamais les armes. Il n'y en a plus beaucoup et elles se résument, croyez-le ou non, à un plan, ou une phrase de dialogue.

Jusqu'à hier il restait néanmoins un point d'accrochage majeur.
Les quinze dernières secondes de combat.
La colline pour laquelle deux armées entières peuvent se battre, le point stratégique qui peut se résumer à un point d'eau minable, à un carré de verdure dérisoire. La fureur...
Oui quinze secondes qui résumaient à elles seules le gap entre celui qui fait le film et tous les autres. Tous les autres. Les quinze secondes qui vous plongent dans la solitude, pour lesquelles vous n'avez que peu de soutien. Votre armée ne tient que dans la salle de montage ou dans le studio musique.
Contre tous les autres.
Quinze secondes (donc moins qu'un plan) dont vous avez le sentiment qu'elles font votre film. Si vous les coupez, c'est votre film que vous salissez, trahissez. Si vous les lâchez vous abdiquez.
Dérisoire non ? Peut-être. On pourrait trouver ces quinze secondes dans les films qu'on aime. Les quinze secondes qui font qu'un film s'affirme ou non, pose quelque chose ou non. Elles ne sont jamais si essentielles que ça bien sûr, elles ne font jamais basculer le film vers le oui ou le non. Mais elles sont exemplaires et stratégiques. Vous êtes dans ces quinze secondes. Et c'est bien parce qu'on les attaque que vous les défendez. C'est parce qu'elles sont remises en cause qu'elles deviennent fondamentales.

Il restait ce point d'eau à défendre alors que les forces commencent réellement à baisser.
Mais j'ai trouvé la solution hier soir.
J'en suis sûr.
De la même manière, ces quinze secondes, je ne vais pas les rendre, non. Mais j'ai trouvé le moyen de les améliorer, de les transformer de telle sorte qu'elles ne fassent plus l'objet d'une lutte à mort, c'est à dire idéologique. J'ai trouvé le moyen de les préserver sans qu'il y ait de perdant.
Est-ce une façon de parler que de parler d'idéologie pour un film d'amour ?
C'est pourtant là que se joue l'affirmation du film, hors de sa mécanique narrative.
C'est justement au niveau de l'histoire d'amour que le film est un terrain de combat politique. Ce n'est pas dans la description de rapports géo-stratégiques qui met en scène russes et américains, services secrets et puissances financières. C'est dans le rapport amoureux que le film s'affirme, qu'il se signe.

Dans ce film, je ne peux pas dire plus (ni moins) que : la femme relève le gant.
Et c'est là que se situe la bataille entre ce que je veux préserver et ce que je peux concéder.

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