13 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 8

Je crois que c'est fini.
Si on ne compte pas l'écriture, on peut dire que ça fait un an que l'on travaille sur le film. Il y a un an, j'étais déjà en repérages à Monaco, puis en casting à Moscou.
Si on compte l'écriture on peut rajouter cinq ans.
C'est dire si le dernier mois avait toutes les raisons d'être stressant.
Cette dernière phase de montage image est celle ou tout se fige, quasi définitivement. C'est le moment où l'on décide quel est le film qui sera projeté en salle. C'est le moment où l'on fait couler la cire, il n'y aura plus de retour en arrière.
C'est la frontière entre les espoirs et les regrets.
Ce qui justifie le stress insolent qui a accompagné ces dernières semaines. C'est connu, c'est balisé mais c'était cette fois-ci particulièrement fort.

Avec l'âge et l'expérience - c'est mon huitième long-métrage, le premier étant "Un monde sans pitié" - je supporte de moins en moins qu'on m'oppose une expérience plus faible pour discuter mon travail. Pour mon premier film, le producteur Alain Rocca avait quasiment mon âge, c'était également son premier film. Nous étions solidaires dans l'inexpérience et je devrais dire l'inconscience.
Aujourd'hui je sais ce que je fais, je sais comment je dois le faire, et je sais aussi que je ne peux le faire ni seul ni pour moi. Ce qui veut dire que je connais la valeur du regard de l'autre, de son sentiment, de ses impressions. Je connais la valeur de l'étape d'objectivation de ce que je produis.
J'en connais la valeur mais j'en connais aussi la limite, voire l'illusion. Chacun a ses angoisses sur un film, angoisses liées à ce que peut représenter le film dans sa propre vie : un succès ? Une fierté ? Une garantie ? Une médaille ?
Ceux qui signent le film ont peur, chacun à sa manière.
Le destin du film va marquer un certain nombre de gens qui ont travaillé dessus. Les producteurs, l'auteur bien sûr, quelques "chefs de poste" situés à la limite entre l'artistique et la technique  comme le chef opérateur qui signe la lumière, le chef décorateur ou la chef monteuse dont on évaluera le travail. Le compositeur sera jugé également. Les acteurs bien sûr et en particulier les acteurs principaux.
Chacun a fait un pari. Chacun a misé quelque chose. Et comme le veut la théorie des jeux, la mise est perdue.
Nous sommes, chacun à son niveau, à un moment où la mise est perdue et les jeux sont faits.
Le verdict commercial, c'est à dire financier, sera rapide le jour de la sortie. Le verdict artistique le sera moins. L'expérience du film "Les Patriotes" est édifiante à ce sujet.

Nous n'avons pas misé la même chose, et nous n'allons gagner ni perdre la même chose.
Mais ce qui est certain c'est que la bataille qui vient d'avoir lieu est le symptôme de cette perte. C'est bien parce que la mise est perdue que la peur s'est mêlée au processus de création, au dialogue nécessaire. La peur est mauvaise conseillère dit-on. Elle accompagne pourtant chaque phase de la fabrication d'un film. Elle n'est pas répartie de manière égale et c'est là que l'expérience joue.
Quand on n'a aucune expérience, on n'a pas peur. Mais dès le second film, la peur apparaît et collabore avec plus ou moins d'allant.
La peur explique pourquoi certains s'enferment dans ce qui fait leur succès, pourquoi ils s'identifient à l'image que leur renvoie le public. C'est la peur qui vous soumet à l'autre. La peur de perdre ce qui a été acquis. Cette même peur de perdre qui affaiblit les politiques et qui peut les rendre dangereux.

J'ai certainement peur de perdre moi aussi. Mais c'est bien plus effrayant de perdre le film qu'on fait. Je voudrais réellement qu'on sorte retourné de ce film. J'ai oeuvré pour ça. Qu'on en sorte retourné et heureux de l'avoir été. Cela signifierait que les quelques affirmations du film ont porté. Mais je souhaiterais aussi avoir réussi ce pari sans me renier ni me contredire. Bref, j'aimerais aimer ce film aussi. C'est pourquoi je me suis battu. Et c'est pourquoi j'ai souffert ces dernières semaines. J'ai souffert parce qu'à certains moments j'ai senti que l'enjeu était d'une certaine manière de renoncer à aimer moi-même le film.

Le montage image est à 99% terminé. Je n'ai renoncé à rien d'essentiel, et surtout à aucun bout de terrain que je jugeais stratégique. J'ai entendu les réactions unanimes. Quand un point fait l'unanimité il faut en tenir compte même si évidemment cette unanimité est limitée par le nombre. Dès qu'un point fait discussion, on peut ne pas le relever, on peut défendre son point de vue. Si le sentiment est partagé par tous alors c'est folie de ne pas en tenir compte, c'est là qu'on fait le film seul et pour soi même.  J'ai donc tenu compte de l'unanimité. Qui d'ailleurs ne s'exprime pas toujours très clairement.
Ce qui est certain c'est que cette même unanimité, aujourd'hui, vient soutenir les moments les plus importants du film, ses affirmations, ce qu'il pose sur la table comme étant son identité, je pourrais dire son invention. La vraie terreur aurait été que l'invention du film fasse unanimité contre elle. Aujourd'hui c'est le contraire. Elle emporte l'adhésion. C'est pourquoi je peux sortir du montage image apaisé. Enfin.

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