07 novembre 2012

Möbius Journal de Post Prod 7

Je suis épuisé.
Le temps de la colère est passé. Voici le temps de l'anéantissement.
J'ai livré le film aux producteurs. J'ai dit : voici le film que je livre. S'ils avaient encore de petites remarques à faire (les "quinze dernières secondes" dont je parlais de manière un peu métaphorique), il fallait qu'ils fassent le deuil du film qu'ils auraient voulu avoir et acceptent celui que j'ai écrit puis réalisé. Je ne toucherais plus rien en attendant le verdict des distributeurs (EuropaCorp).
Les distributeurs ont vu. Ils ont aimé paraît-il (je n'ai pas assisté à la projection pour leur laisser le loisir de parler librement). Ils ont vu que le film tenait sa promesse. Ils sont contents. Ce qui n'est pas rien vu justement l'ambition de la promesse.
Ils ont des remarques sur des détails, des moments, rien de fondamental paraît-il, rien qui remette le film en question. Juste des remarques. C'est légitime. C'est le jeu. Le distributeur, surtout quand il s'agit d'un grand groupe comme celui-là, dont l'investissement a été conséquent et vital, a son mot à dire.
C'est le jeu d'écouter, voire d'entendre et de continuer à travailler.
Mais je ne sais pas comment je vais trouver la force, de nouveau, d'essayer de comprendre, d'imaginer des solutions qui me satisfassent autant qu'eux, de renoncer à des choses si je ne suis pas convaincu.
J'avoue que j'atteins ici, ce soir, ma limite.
Le temps maintenant nous est compté. Il va falloir probablement faire des choix douloureux, choisir entre eux et moi sur certains points. Choisir entre le renoncement d'un côté ou l'incroyable épuisement qui résulte de la résistance.
Quelle putain de solitude.
Parce qu'il ne faut pas croire que résister est facile. C'est exténuant. Défendre une scène qu'on a écrite, tournée, désirée et que l'on continue d'aimer, de trouver légitime, défendre cette scène envers et contre tous, envers une certaine unanimité, ce n'est ni facile, ni reposant.
J'ai du mal à renoncer à contenter tout le monde. Quelques fois on n'a pas le choix. Il faut trancher. Et aucune option n'est confortable. Aucune.
Aujourd'hui vient la phase de l'inconfort absolu qui consiste à défendre un bout de terrain dont on ne sait absolument pas s'il en vaut la peine.
J'aimerais être fou. j'aimerais faire l'artiste. J'admire ceux qui le sont, ceux qui le font. Mais ça me demande à moi une énergie considérable. A un moment de fragilité extrême.
Je dois jouer le jeu. On ne me dit pas assez que c'est bien. On me le dit, on me le dit plus que sur de nombreux autres films que j'ai livrés. Je devrais m'en contenter. Mais je n'y parviens plus.
Je ne sais pas si je vais avoir la force de tenir la barre. Si je ne vais pas devoir la lâcher un peu, au risque de m'en vouloir plus tard, de le regretter profondément. Il faut que je me persuade que ça sera négligeable au vu du film global.
Les dernières batailles sont dérisoires, d'un côté comme de l'autre. c'est là que la question de confiance est posée. C'est pourquoi il faut travailler avec des gens de confiance absolue. Car c'est dans ces moments là qu'il faut se reposer sur cette confiance. La confiance ici est ébranlée, fatigue oblige.
Je dois jouer le jeu. Je ne fait pas le film pour moi. Je le fais pour le sortir de moi et l'offrir aux autres. Ce film, c'est moi, mais je ne m'appartiens plus. C'est le douloureux paradoxe.
Rien ne m'attristerait plus que de réaliser dans quelques mois que je me suis accroché à des chimères, et rien ne m'attristerait plus que de m'apercevoir que j'ai lâché des choses essentielles.
J'en fais trop, je prends les choses trop à coeur. Je suis c'est vrai au bord du burn out.
L'expérience qui est la mienne ne m'est d'aucun secours. Peut-être parce que ce film est important. Peut-être parce qu'il est ambitieux. Je ne sais pas. Peut-être parce que l'expérience justement joue contre moi.
Pourvu que ça ne dure pas. Parce que là, ça commence à faire beaucoup.

1 commentaire:

  1. Moment douloureux que je comprends et partage avec vous!!!!!Un film est toujours une bataille qu'il faut mener avant, pendant, et encore plus après.....C'est normal quand on porte en soi un projet ambitieux...Courage!!!!..Cordialement. Jean Vincentelli

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