05 février 2012

Le conflit des fantasmes et le visage de la République

La confrontation qui s'annonce entre la droite représentée par Nicolas Sarkozy et la gauche représentée par François Hollande a des allures de jeu de dupe politique.
Chaque camp a ses fantasmes et ce sont ces fantasmes qui caractérisent chaque camps.
La droite française est depuis des années animée du fantasme libéral : réduire l'intervention de l'Etat au maximum, laisser les entreprises libres de faire ce qu'elles veulent, remettre en cause le droit du travail, le droit de grève, remettre en cause les services publics et la protection sociale.
La gauche française est animée du fantasme socialiste : renforcer l'intervention de l'Etat, étendre les services publics, comprendre chaque revendication, accepter tout le monde, égaliser les statuts.
Ce sont des horizons. Le soleil libéral brille au loin, l'étoile socialiste éclaire le chemin.
Mais ces fantasmes se heurtent évidemment au principe de réalité.
La réalité c'est que la France ne veut pas du libéralisme. Elle ne veut pas qu'on casse l'éducation nationale, la sécurité sociale etc... La réalité, c'est que la mondialisation interdit le socialisme. Le monde a choisi son système économique pour un bon bout de temps et changer le système, c'est changer le monde et non pas la France seule.
Le jeu de l'accession au pouvoir induit donc un savant mélange entre fantasme et réalité. Les discours se musclent au son du fantasme et les actes s'accomplissent à la lumière de la réalité.
Il ne faut pas croire que les fantasmes en restent aux discours.
Sarkozy a fait le paquet fiscal, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, l'allègement de charge des heures supplémentaires, la limitation du droit de grève. On peut quand même dire que la dose de libéralisme dans sa politique a été cosmétique. Disons qu'il y a eu et il y a dans ses positions une tendance.
De même pour la gauche au pouvoir ou en campagne. Les trente cinq heures surtout ont été un coup électoral quand la question du chômage structurel était la question numéro un. Partager le temps de travail comme si le gâteau des emplois était stable et ne s'adaptait pas à la conjoncture. On peut se demander si les socialistes y ont vraiment cru. En revanche, à l'époque, c'était la seule proposition nouvelle et concrète pour s'attaquer au problème du chômage. Et les législatives ont été gagnées sur ce thème.
Mais les socialistes aujourd'hui savent que leur marge de manoeuvre est proche de zéro. La crise rend encore plus aigüe ce manque de souplesse. Ils savent aussi qu'idéologiquement ils n'ont jamais trouvé la parade à la mondialisation. Maastricht leur a porté un coup fatal. L'idéal socialiste n'a pas su s'adapter au monde nouveau.
Alors finalement, nous allons assister à une bataille de fantasmes. Tout sera clair sur les tendances de chacun. Mais au final, les fantasmes sont des restes d'idéologie, et aucun des deux candidat n'est dupe de ces illusions.
Sarkozy va se défendre d'être libéral, Hollande va se défendre d'être socialiste alors que chacun va mettre en avant qui son libéralisme, qui son socialisme.
Oui, la différence entre les deux est une différence d'horizon, une différence de tendance mais dans la réalité, les deux se situent dans un mouchoir de poche politique.
Les extrémistes de tout bord, les rêveurs et les idéalistes s'en offusqueront, s'en scandaliseront.
Ce n'est pas mon cas. Je trouve ça plutôt très bien. Je voterai toujours Sarkozy contre Mélenchon, je voterai toujours Hollande contre Le Pen.
Je préfère que le fantasme reste à sa place.
Ce qui est gênant c'est que ces fantasmes empêchent les uns et les autres d'adopter les bonnes idées de chacun. L'augmentation de la TVA, Hollande pourrait le faire, plus ciblée, plus "juste", mais c'est dommage qu'il se l'interdise. La remise en cause du "dégraissage" de la fonction publique, Sarkozy pourrait y renoncer dans son côté bêtement systématique et en particulier dans l'éducation nationale ou la police. c'était aussi stupide que les trente-cinq heures.
Les fantasmes restent à leur place mais colorent quand même les actions et sclérosent un peu les positions.

Alors quel sera le vrai choix si les politiques seront finalement, à quelque détail près, les mêmes ?
Evidemment une certaine conception du pouvoir.
C'est là que la personnalité du président entre en jeu.
Quelle que soit la pertinence de quelques propositions de Sarkozy, et en admettant qu'il cesse d'être un idéologue en campagne, je crois que le président sortant est grillé. Il n'est plus crédible. Il peut s'agiter de nouveau, se révolutionner de nouveau, rompre avec lui-même, c'est fini. Il a été trop loin dans sa pratique stupide et ostentatoire du pouvoir. Oui il a voulu décomplexer la droite. Oui il a affirmé aimer l'argent, la réussite et le pouvoir. Il le paie aujourd'hui et je pense qu'il perdra l'élection à cause de ça. Je n'imagine pas les électeurs être dupe de ses confessions, de ses regrets et de ses nouvelles propositions. Je ne crois pas un seul instant qu'un animal politique aussi doué et aussi féroce que Sarkozy puisse avoir réellement changé.
C'est sa pratique du pouvoir qui doit et va être sanctionnée.
Donc Hollande a ses chances d'autant plus qu'il vend, au travers de sa personnalité, une pratique du pouvoir toute différente : normale, à l'écoute, bienveillante. Et depuis le Bourget et son passage sur France 2, nous savons aujourd'hui que ça n'est pas au détriment de la pugnacité, de la détermination, de la fermeté.
De quoi pouvons nous avoir peur ? De ce qu'il applique une politique que la droite, dans la conviction qui est la sienne que le pouvoir lui appartient de droit, qualifie de folie ?
Aucun risque. Chez Hollande comme chez Sarkozy, le fantasme reste à sa place.
Non, nous n'avons rien à craindre de Hollande, au contraire. Il sera pragmatique.
Mais surtout, je pense qu'il est quelqu'un que le pouvoir ne peut corrompre, dont le pouvoir ne peut pervertir ni la bienveillance ni l'intelligence.
Et à pragmatisme égal, à politique égale, à marge de manoeuvre égale, le choix est finalement facile.
Que ceux qui croient au changement de système ou de société se détournent de ces deux candidats. C'est naturel, c'est compréhensible.
Mais que ceux qui croient plutôt au dur labeur d'adapter la société française à la mondialisation, de garder la France dans le rang des pays modernes, démocratiques, travaillant toujours à ne pas sacrifier la justice à l'efficacité, que ceux-là n'aient pas peur de préférer Hollande à Sarkozy. Car à volonté égale, il donnera un visage bien plus apaisé, bien plus agréable et bien plus proche de nous à la République.

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